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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/202

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qui plaît à sa bonne ; & l’on voit que jusque-là rien n’a fait naître véritablement en lui l’idée du beau ; mais l’esprit & le cœur sur-tout se mêlent enfin de son éducation à cet égard, & ses facultés, à mesure qu’elles se développent, & qu’elles forment une association plus étroite & plus amicale, éprouvant davantage le desir des satisfactions qui leur sont destinées, s’éclairent mutuellement & dirigent la langue de l’enfant, sur-tout aux approches de l’adolescence, à appliquer avec quelqu’intention, le mot beau. Il avoit appellé sa maman belle, d’après l’ordre qu’on lui en avoit donné ; sa sœur lui paroît plus belle d’après des convenances & des relations qui le frappent. Quelques jeunes compagnes de ses jeux, donnent bientôt lieu à des perceptions plus distinctes, & les momens arrivent enfin, où il prononce beau, d’après une conscience de ses facultés réunies, & avec l’expression qui convient à cette dénomination, C’est alors aussi que se présente à lui cette multitude d’applications propres ou figurées d’un mot qu’il inventeroit, s’il ne le trouvoit en usage, & qu’il prodigue d’autant plus que la nature l’a plus destiné sur-tout à cette existence, que j’appellerai sentimentale ; car c’est principalement d’après cette constitution qu’il proclamera beau plus fréquemment & avec une expression plus significative, tout ce qui produira pour lui des mélanges de satisfactions : & que veut dire autre chose, cette invocation si connue, cette allégorie du Poëte philosophe, qui, dans les beaux vers dont je rappelle ici la mémoire, semble avoir mieux senti la nature, qu’il ne l’a expliquée ? En effet, lorsque Lucrèce s’écrie : « Vénus, aimable fille de Jupiter, objet de l’amour universel ! c’est vous qui répandez le mouvement & la vie : le monde sans vous ne seroit qu’un triste désert. » Ne semble-t-il pas que résumant des élémens semblables à ceux que j’ai développés, il a porté ses considérations jusques sur l’homme tristement isolé, pour qui rien dans la nature ne seroit beau, parce qu’il seroit privé du premier principe de toute idée de la beauté ? Et lorsque le Poëte philosophe ajoute : « votre présence calme les vents, appaise les orages, adoucit la férocité, produit les fleurs & fait nos beaux jours. » Qui peut méconnoître les effets de cet épanouissement du cœur de l’homme qui, s’associant avec les sens & l’esprit, produit l’idée du beau, & ouvre dans l’instant même les routes de toutes les extensions de cette idée ?

Aussi voyons-nous, en continuant d’observer le caractère de chaque âge, que dans celui où l’esprit s’arroge des droits souvent trop exclusifs sur le cœur, la physionomie de l’homme, devenu plus sévere & plus réservé dans les dénominations du mot beau, est à cet égard moins significative, quelquefois même douteuse, qu’elle n’offre souvent qu’une expression de complaisance, jusqu’à ce que l’homme parvienne à cette triste époque de la vie,


où les facultés, prêtes à dissoudre leur société, n’inspirent plus le mot beau, que comme un ressouvenir, une habitude, une convention, & c’est alors que Vénus ne répandant plus pour lui le mouvement & la vie, le relegue enfin & l’abondonne dans cette isle déserte, où les vents & les orages ne s’appaisent plus par les charmes d’une Déesse ; où les jours & les fleurs n’étant plus beaux de sa beauté, ne produisent que quelques satisfactions partielles, & le souvenir presqu’effacé de ce qu’ils étoient au printems de la vie.

C’est ainsi que les saisons de l’homme, & si nous observons plus finement encore, celles même de chacune de ses années, modifient en lui les impressions du beau, comme presque toutes ses autres idées ; mais ce n’est pas seulement la jeunesse & le printems qui inuent sur les modifications dont le beau est susceptible ; la santé, la maladie, le bonheur, le malheur, les loisirs, les travaux partagent cette influence. Le beau, direz-vous, n’est donc plus qu’une idée absolument relative, que chaque individu a droit de regarder comme personnelle & arbitraire. Cette induction est naturelle, & cette opinion du beau existe dans la plupart des hommes en particulier ; mais le droit que chacun croit avoir de décider ainsi, est cependant si mal assuré, ou si peu honorable, que les hommes le désavouent aussitôt qu’on les interroge ensemble, ou qu’ils parlent & écrivent publiquement sur cette matière. C’est qu’il s’établit parmi les hommes rassemblés, surtout à l’époque où les sociétés s’instruisent & s’éclairent, un tribunal auquel se soumet en dernier ressort le droit d’opinions, que chaque homme s’attribue en particulier ; & comme chacun des membres d’une société sacrifie des portions de ses volontés naturellement absolues, au maintien de celles qui sont plus importantes à conserver, de même il se soumet à regarder publiquement comme mal fondées & abusives les opinions qu’il n’ose défendre au tribunal de l’opinion publique. C’est à ce tribunal que le beau retrouve une existence universelle, & qui devient la base de tous les Arts libéraux.

L’esprit des sociétés, ou plus géneralement encore l’esprit humain cultivé, est le résultat des sensations, des sentimens & des conceptions d’un grand nombre d’hommes ; & cette espèce d’être singulier, puisqu’on peut dire qu’il est collectivement abstrait, se montrant, par une conformité des loix de la nature, sujet à des progressions semblables à celles des âges & des saisons, nous fait penser qu’il a son enfance, sa jeunesse, son âge mûr & sa décrépitude. C’est dans l’époque où il passe, de la jeunesse à la virilité, qu’il établit sur une infinité d’objets & sur le beau entr’autres, des loix auxquelles sont forcés de se soumettre, & les erreurs de l’ignorance, & le despotisme de la personnalité, & les égaremens du caprice, & les variations physiques & morales qui gouvernent les