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n’y retrouvent plus l’activité qui caractérise l’âge précédent.

La modération du mouvement dans l’âge viril, donne l’idée d’une confiance dans des qualités essentielles entièrement acquises. Les muscles plus caractérisés annoncent la force ; mais ce qui reste encore des caractères de la jeunesse, adoucit ce que la force pourroit avoir de trop imposant. La vigueur ajoute à la beauté, parce qu’elle est un effet naturel du développement accompli, qui remplit le but de la nature.

Si quelques idées de la beauté s’étendent jusqu’à la vieillesse, elles ne sont plus fondées sur les mêmes bases. Ce qu’on désigne par ce nom, en parlant d’un vieillard, se rapporte à quelques convenances, à quelques bienséances particulières, souvent même aux conventions.

Un vieillard dont le maintien est plus soutenu que cet âge ne le comporte ordinairement, satisfait le regard qui l’apperçoit, le sentiment qui s’en occupe, l’esprit qui l’observe ; mais nous ne courons pas (pour parler ainsi) après cette satisfaction ; nous nous contentons de la recevoir. Si la tête d’un vieillard conserve un caractère noble ; si sa physionomie annonce la bonté, la sagesse ; si ses rides paroissent s’être formées sans violence & par le seul effet physique de quelques déperditions indispensables ; si elles n’offrent point des sillons formés par l’habitude de passions blâmables, ou des expressions violentes & forcées qui appartiennent aux vices & aux déréglemens du corps & de l’esprit ; si la tête dégarnie, les cheveux & la barbe blanchis ne font pas naître l’idée d’une dégradation & d’un dépérissement prématurés ; si, au contraire, ces signes de vieillesse réveillent l’idée d’une expérience que l’on n’acquiert que par le cours des ans ; si les yeux animés annoncent une vigueur de l’ame, qui résiste encore à la loi du temps & qui s’est conservée par la sagesse & la modération ; si la bouche, les lèvres & le sourire n’opposent aucune expression défavorable à celle du calme parfait d’une ame sans remords & sans craintes, la vieillesse a droit de prétendre encore au titre de beauté. Mais on voit que cette beauté ne pose plus, comme je l’ai dit, sur les premières bases, & qu’elle est du nombre de celles que j’ai nommées beauté de convenance, de bienséance & presque de convention.

Qu’on ne s’attende pas que cette extension puisse aller jusqu’à la décrépitude. Les derniers momens trop prolongés de l’existence de l’homme, ainsi que les premiers, ne sont pas même susceptibles de beauté de convention. Les idées d’une trop grande foiblesse ou d’un trop grand dépérissement, la privation des proportions qui n’existent point encore dans une masse informe qui ne fait que de naître, & qui n’existent plus dans une machine presque détruite, n’inspire qu’une sorte


de pitié, qu’une triste commisération, incompatible avec toute idée de beauté ; ce qui n’empêche pas que, par des exceptions particulières, d’une part, cette masse à peine animée, & de l’autre, ce corps presque détruit, n’aient droit, relativement aux êtres à qui le sentiment doit les rendre chers, à des sensations si satisfaisantes, qu’elles peuvent se confondre avec celles qu’occasionne la beauté : c’est par l’effet de cette illusion respectable, que la décrépitude d’un père, d’un ami ; d’un homme illustre & vertueux, a pour un fils, pour un ami, pour un homme qui chérit ses semblables, une beauté qui n’est étrangère qu’aux ames froides, insensibles & peu faites pour juger la Nature & les Arts.

J’ai mis au nombre des convenances, relativement au mot beauté, l’état & le rang.

Il seroit aisé, mais assez peu utile de s’étendre sur cet objet. Je me bornerai à dire que, si on attribue à certains états, à certaines dignités, à certains rangs, une sorte de beauté, cette beauté n’est souvent qu’une beauté absolument de convention.

L’on dit quelquefois, par exemple, en parlant de certains caractères de têtes & de physionomie, que l’homme qui en est doué feroit un beau Magistrat, un beau Prélat. On dit qu’une femme a une beauté de Reine, la beauté noble d’une femme de qualité, &c. Toutes ces manières de parler sont relatives à des conventions, & principalement à celles de la Peinture ; car nous avons imposé à un Art que nous avons créés des loix que ne respecte pas, à la vérité, la nature dont nous sommes nous-même l’ouvrage.

Nous exigeons, dans la Peinture & au Théâtre, qui est une sorte de représentation pittoresque, qu’un Roi, qu’un Héros, qu’un Juge, ayent dans leurs proportions, dans leurs traits, dans leurs mouvemens, dans leur expression, non-seulement une beauté générale, mais la beautéparticulière que nous regardons comme convenable au rang & à l’état ; & nous voyons, avec quelque regret, que la nature se conforme bien rarement sur cet objet à nos idées. Mais que le Prince véritable soit bon, que le Héros soit bienfaisant, que le Juge soit intègre, leurs vertus nous feront l’illusion d’embellir même leurs difformités : il ne doit pas en être ainsi dans les ouvrages des Arts, & l’on a de justes raisons & des droits fondés pour exiger davantage ; car le tableau étant muet & ses figures immobiles, il faut que les personnages annoncent par des apparences extérieures ce qu’ils ne peuvent démontrer par des faits & de tout temps (avec raison) la beauté, qui est une perfection physique, a eu dans nos idées une relation naturelle avec la perfection morale, comme la difformité corporelle, avec celle de l’ame ; de manière que sans avoir