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L’inconvénient relatif aux Artistes est de les détourner du goût qu’ils pourroient avoir pour les premiers genres & pour les grands principes, en leur démontrant par le fait, que les genres inférieurs sont les plus recherchés, & les ouvrages de ces genres les plus récompensés, soit par les louanges, soit par le prix qu’on leur assigne. De-là le refroidissement auquel nous les voyons s’abandonner pour les sujets nobles, graves, pathétiques, dans lequel l’Art peut exercer ses plus admirables illusions. De-là le penchant épidémique pour les sujets qu’on nomme agréables, galans, ou qui se distinguent par quelque singularité.

La foi qu’on ajoute aux catalogues, les prix qu’ils établissent avec une sorte d’autorité, d’après les fantaisies & les ruses des Marchands, tendent à l’intervention des idées justes, des évaluations conformes à la raison & à l’importance des genres d’ouvrages qui demandent plus ou moins de génie, & qui ont plus ou moins de droits réels à intéresser le cœur & l’esprit ; mais si je m’étendois trop long-tems sur le sujet de cet article, ne risquerois-je pas qu’on ne m’accusât d’aller sur les brisées du personnage de notre Comédie, qui vouloit réformer les enseignes ? Les vérités trop particularisées touchent effectivement ou s’approchent du moins de la pédanterie, & par conséquent sont bien près d’encourir la peine du ridicule.

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CÉLÈBRE & CÉLÉBRITÉ. La célébrité est différente de la réputation, ou plutôt en est le complément ; car la réputation précède la célébrité, quoiqu’elle n’atteigne pas toujours le degré éminent qu’exprime le mot célébrité. Dans les Arts, les genres qui ne sont pas regardés comme les premiers, ont droit à ce qu’on appelle la réputation ; ils en ont moins à la célébrité. Raphaël sera célèbre, tant que l’Art de la Peinture existera dans nos sociétés instruites : une infinité d’Artistes très-estimables, & qui ont fait des chefs-d’œuvres dans des genres moins élevés, ont joui d’une réputation méritée, qui se conserve, tant que leurs ouvrages existent ; mais qui ne produit point cette célébrité dont jouit encore Apelles, & qui subsiste si long-tems, même après la destruction de ses ouvrages. La célébrité dans les Arts est donc le dégré éminent de la réputation, & ce qu’on nomme renommée est comme le retentissement des voix nombreuses & successives qui proclament la célébrité d’un Artiste, d’après le sentiment & le jugement de plusieurs siécles.

Je parlerai de la considération, qui est différente de la réputation, de la célébrité & de la renommée.

Lorsque le desir de la célébrité provient dans un Artiste d’un sentiment pur dont il a été doué


par la Nature, lorsque ce sentiment est celui des beautés que lui offrent les objets soumis à son Art. Lorsqu’un penchant vif & suivi de les imiter produit en lui une certaine assurance d’y réussir, avec la supériorité capable de fixer une attention générale, & d’obtenir des succès, rien n’est mieux mérité que cette célébrité, s’il l’obtient, & rien n’est répréhensible dans le desir de l’acquérir ; mais lorsque le desir de la célébrité a pour base les prétentions de l’esprit, & qu’il n’est à proprement parler, que l’effet de la vanité, de l’amour-propre, de la satisfaction qu’on se promet de l’emporter, ne fût-ce que dans l’opinion, sur ceux qui peuvent avoir des droits à la même distinction, alors le desir de la célébrité expose l’Artiste à éprouver plus de peine qu’elle ne peut bien réellement lui donner de satisfaction ; alors la célébrité occasionne le plus souvent des contradictions & des mortifications, contre lesquelles il faut combattre sans cesse, & qu’on ne surmonte pas toujours. Enfin la célébrité de ce genre obtenue par tous les moyens qui on se permet, & dont il est un assez grand nombre qu’on hésiteroit d’avouer, ou qu’on doit rougir de se permettre, s’altère, s’évanouit & doit faire aisément prévoir qu’elle n’aura pas une longue durée, dès que celui qui se l’est acquise à tant de frais ne pourra plus les redoubler pour la conserver.

Il est donc une célébrité à laquelle l’Artiste le plus modeste peut & doit aspirer, sans que ce désir puisse altérer la vertueuse simplicité de son ame ; mais aussi ne doit-il travailler à l’acquérir que dans la solitude de l’atelier, par des travaux que troubleroient les soins étrangers à son Art, qu’il se permettroit d’employer. L’Artiste vraiment estimable ne doit donc considérer, lorsqu’il se prête au desir & à l’espoir d’une noble célébrité, que la perfection de ses travaux & non l’humiliation de ceux qui courent la même carrière. Si leur souvenir s’offre à lui, il doit penser qu’ils peuvent acquérir de la célébrité, sans qu’elle nuise à celle à laquelle il aspire. Son esprit ne s’occupe pas à penser si l’artifice, les soins, les discours, les démarches pourroient lui donner quelqu’avantage sur eux, & lui faire attribuer cette célébrité, avant qu’il l’eût bien méritée. Il pense que le tems qu’il emploieroit à faire usage de ces moyens seroit perdu, pour ce qu’il doit à ses études, & qu’au fond, pourvu qu’en ne négligeant rien de ce qui est essentiel, il réussisse à approcher des perfections de l’Art, auquel son penchant l’a fixé ; quand il n’obtiendroit pas la célébrité à laquelle il auroit des droits, le juste sentiment de son ame, le dédommageroit de ce qui peut lui être refusé. Et souvent devroit-il penser encore que peut-être il n’a pas approché autant de la perfection qu’on est en droit de l’exiger de lui.

Mais s’il arrivoit que l’Artiste dont je parle livrât son cœur à un sentiment de chagrin, fon-


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