Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106 CLA CLA

Le clair-obscur d’un tableau, est donc une approximation à laquelle l’Art peut atteindre.

Le Peintre qui, pour y parvenir, est astreint aux loix positives & exactes, de l’incidence & de la réflexion des rayons lumineux, est libre au moins de fixer, dans chacune de ses compositions, le point duquel il suppose que se repand la lumière, sur les objets dont il compose son tableau. Il fait, comme Gédéon, arrêter le soleil, dont il veut éclairer sa composition à un lieu fixe ; il lui présente les surfaces qu’il desire qui soient éclairées, & interpose à son gré des objets pour occasionner des privations plus ou moins complettes, &, par-là, plus ou moins favorables aux effets harmonieux qu’il est tenu de produire.

Ainsi, la science du clair-obscur, consiste dans l’exactitude à se conformer aux loix Physiques, que suit une lumière sixe après les suppositions qu’on se permet de faire, pour l’avantage du sujet qu’on traite.

Cette liberté de suppositions n’est pas indéfinie ; car si elle consiste, par exemple, comme il est le plus ordinaire, à ne pas offrir au spectateur, le foyer de la lumière, dont on éclaire le tableau, il faut cependant que le spectateur instruit & sévère, puisse se démontrer que le Peintre ne fait jaillir les rayons que d’un point, & même découvrir dans quel endroit, hors de la composition, peut être ce point ; comme un Géomètre, en achevant de prolonger des portions de lignes qui s’inclinent l’une vers l’autre, parvient au point de leur réunion.

Le problême à remplir, à cet égard, par le Peintre, est donc, après avoir posé idéalement le foyer d’où il fait jaillir sa lumière, & supposé les accidens d’interpositon & la disposition de ses objets, de se conformer geométriquement aux règles d’incidence & de réfraction, que la nature prescript aux rayons de la lumière véritable.

Il faut cependent ajoûter que, vu l’impossibilité de remplir ces conditions dans leur étendue, & leur plus grande exactitude, on ne sauroit exiger dans la pratique la précision geométrique que prescrit la théorie. Aussi celui qui regarde un tableau, plus occupé de jouir que d’approfondir par des démonstrations, si l’Artiste a pu résoudre complettement le problême qu’il s’est proposé, n’est jamais sévère, sur-tout si le Peintre s’attire son indulgence, par le plaisir qu’il lui cause.

Je me suis étendu sur ces explicatons due mot CLAIR-OBSCUR, bien moins, comme on doit le sentir, pour les Artistes, que l’habitude de voir & d’opèrer instruit, que pour ceux qui ne peigent pas, & qui la plupart n’ont pas une idée bien nette de ce que signifie ce terme.

Pour rendre cette explication encore plus claire, s’il m’est possible, je dois ajoûter que chaque


objet en particulier a son clair obscur, d’après ce qui vient d’être dit, mais que ce qu’on entend plus ordinairement par ce mot, lorsqu’on parle d’un ouvrage de Peinture, c’est l’effet résultant de toutes les lumières, de toutes les ombres, & des rejaillissemens dont on a fait usage dans le tableau.

Ainsi le sistême de clair-obscur, de tel ou tel Peinture, est celui qu’il suit le plus ordinairement dans ses ouvrages ; en disposant dans un certain ordre qui lui est plus familier, les lumières & les ombres pour produire un effet général.

Un moyen d’apprecevoir d’un coup-d’œil l’effet général du clair-obscur dans un tableau, est de s’en éloigner à une distance telle que les objets particuliers, éclairés subordonément, chacun d’après les suppositions établies, n’attachent plus trop les regards, & que les lumières & les ombres principales se présentent à la vue comme par masses, par enchaînement ou par grouppes, qui subordonnés entr’eux, satisfassent les regards par un accord, une harmonie & un repos, auxquels se complaît le sens de la vue.

Le tableau qui produit cet effet, presqu’absolument physique, à la distance d’où l’on peut en juger, est bien combine, quant à cet partie.

Le tableau qui, à quelques distances qu’on le regarde, pour le soumettre à l’épreuve dont je parle, ne présente aux yeux que des lumières & des ombres éparses, incohérentes, est l’ouvrage d’un Artiste qui ignore à la fois la science & l’Art du clair obscur.

Ce qu’il faut concevoir maintenant, c’est que l’Art du clair obscur, qui satisfait essentiellement le sens de la vue, contribue par-là à la satisfaction de l’esprit du spectateur.

Le clair obscur bien entendu, satisfait le sens physique de la vue, parce qu’elle se complait, comme je l’ai dit, dans l’accord des lumières & des ombres ; comme l’oreille dans l’harmonie des sons ; au lieu que les regards sont blessés, pour ainsi dire, par l’éparpillement des lumières & des ombres, & par le manque de liaisons & de subordination entre elles.

Mais si la vue se repose & se promène sans être blessée sur un tableau dont le clair-obscur est disposé avec art, & accordé avec intelligence, on conçoit qu’elle distingue plus facilement chaque objet de la composition, & dans chaque objet les details qui peuvent exciter la curiosité de l’esprit & l’intérêt de l’ame.

Comme dans l’ordre des impressions que sait éprouver la Pienture, l’impression physique est necessairement la première, cette impression doit donc en précédant les autures, favoriser celles de l’ame ou leur nuire.

Voilà la plus développée que j’ai pu donner du clair-obscur, considéré physiquement & moralement, pour ainsi dire, dans la Peinture ;