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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/319

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horizontales : il employe des diminutions graduelles de plans qui donneront l’idée d’une etendue, d’une distancequi n’existent pas. Enfin, dans quelques toises auxquelles il est borné, il fait parcourir au regard trompé & à l’imagination dont il s’empare & qu’il conduit à son gré, des espaces quelquefois indéfinis.

La science de la perspective linéale est donc la base absolue de l’art des décorations, surtout lorsqu’elles présentent des lieux renfermés & embellis par l’architecture.

La science de la perspective aërienne qui, sans offrir des règles pratiques absolument aussi positives, s’appuye cependant sur des principes exacts, est également nécessaire aux peintres de décorations, dans quelqu’espèce de représentations que ce soit, parce que les espaces, réellement assignés à la scène, sont toujours moins grands que ceux que le peintre-décorateur fait imaginer.

Voilà les bases de l’art des décorations.

Les moyens que le peintre employe sont les couleurs en détrempe & la lumière ou plutôt les lumières dont il dispose. Il choisit la manière de peindre dont je viens de parler, parce que l’usage en est prompt & qu’elle n’offre point de luisant.

Il convient ici (quoique je ne puisse entrer dans tous les détails de cet art qui demanderoit un traité fort ample) de distinguer deux sortes de lumières qui sont également nécessaires aux décorations, pour qu’elles produisent l’illusion à laquelle on les destine.

L’une de ces lumières est celle que le peintre suppose éclairer les objets qu’il représente. La scene entière est un tableau ; la lumière feinte dont je parle prescrit donc les mêmes règles de clair-obscur que doit suivre le peintre dans quelqu’ouvrage de son art que ce soit.

L’autre espèce de lumière est celle dont il éclaire réellement ses décorations, & les artistes-décorateurs ont à cet égard un avantage réel & fort grand sur les artistes qui peignent des tableaux, puisqu’ils peuvent, en multipliant, & en combinant à leur gré le nombre & la force des lumières cachées dont ils éclairent leur ouvrage, donner plus d’éclat aux parties de leur composition qu’ils ont destinées à être claires. Ils disposent, pour ainsi dire, d’un astre ou d’une infinité d’astres lumineux, par le moyen desquels ils imitent la véritable lumière, celle du jour, autant qu’il est possible à l’artifice d’imiter la vérité. Cette ressource ou cette disposition des lumières, qui donnent aux décorations leur effet, qui l’augmentent, qui retouchent & perfectionnent pour ainsi dire les tableaux de la scène, est un art qui devroit être à la disposition entière du peintre ; mais il devient dans l’usage des théâtres un point de division entre l’artiste, les acteurs & le public.


Je vais me permettre quelques détails sur cet objet & sur un autre encore, & je pense que ces deux points donneront une idée assez juste des difficultés principales qui s’opposent à la perfection dont seroient susceptibles les décorations théâtrales.

Quant à la perfection, elle dépend des principes généraux de la peinture, de l’étude des règles, de l’intelligence, & enfin du génie, comme la perfection de tous nos arts libéraux.

J’ai dit que la disposition des lumières avec lesquelles on éclaire les décorations, étoit un objet de division entre le peintre, les acteurs & le public.

En voici les raisons :

Le peintre a droit de n’avoir égard qu’au plus grand effet de l’illusion qu’il a dessein de produire par la peinture. Pour y parvenir, s’il veut user avec le plus grand avantage du secours des lumières cachées, ce sera presque toujours sur les fonds qu’il en répandra l’éclat pour rendre les lointains plus vagues, pour donner une idée plus vaste de l’étendue qu’il présente, ou bien pour rappeller celle de l’air ou des eaux. Il réussira sans doute s’il est habile, & s’il est le maître ; mais à l’instant qu’il entreprendra d’user de ces ressources, les acteurs commenceront à se plaindre que cette perfection du tableau de la scène, portée principalement dans les fonds, altère l’effet que la lumière, si elle étoit prodiguée à leur avantage, lorsqu’ils occupent l’avant-scène, produiroit soit pour fixer sur eux les regards & l’attention des spectateurs, soit pour faire discerner l’expression dont ils nuancent leur action, soit pour faire valoir dans nos héroïnes dramatiques les graces qui rendent leur jeu plus intéressant.

D’après cet exposé assez sensible, il est aisé de concevoir que ces intérêts absolument contradictoires doivent s’opposer au succès auxquels pourroit atteindre l’artiste. Venons à l’autre difficulté relative aux spectateurs : si ceux qui remplissent nos spectacles y venoient uniquement dans le but de s’occuper des arts qu’on y exerce, en concourant eux-mêmes à leur plus grande perfection, ils abjureroient toute personnalité trop contraire à ce motif ; mais c’est une abnégation qu’on ne peut espérer & qu’on n’a pas droit d’exiger de ceux qui par un tribut pécuniaire s’en croyent affranchis. Les spectateurs, en payant leurs plaisirs, donnent la plus grande extension au droit d’en décider les modifications ; car l’argent est un signe de propriété vague, auquel on attribue, lorsqu’on s’en désaisit, le droit le plus étendu qu’il est possible sur la propriété qu’on acquiert.

Le spectateurs des deux sexes pensent donc que c’est les frustrer d’une partie de leur droit que de ne pas servir leur curiosité respective.