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phaël ; mais celles qu’il avoit acquises étoient du genre le plus sublime. Il vit dans la peinture peu de chose de plus que ce à quoi l’on peut atteindre dans la sculpture, & il s’y borna à la correction des formes & à l’expression des passions. »

C’est dire assez qu’il négligea la couleur, ou plutôt il n’avoit aucune idée de cette partie de l’art qui fut inventée à Venise par le Titien plus jeune que lui. Quand on lui montra, dans sa vieillesse, un tableau de ce peintre, il en parut foiblement touché, & dit que ce maître auroit dû soutenir par la correction des formes les béantes & les illusions du coloris. C’est la peinture en huile qui se prête le mieux aux charmes de la couleur, & il faisoit peu de cas de cette manière de peindre : il disoit que c’étoit une occupation digne des femmes & des enfans.

Il nous apprend lui-même dans une de ses lettres, qu’il modeloit en terre ou en cire toutes les figures qu’il vouloit peindre. C’est à cette pratique qu’il dut l’art d’exprimer si savament les raccourcis. Cette méthode étoit familière aux grands peintres de ce tems, &, n’auroit peut-être jamais dû être abandonnée. Il semble qu’on se rend un compte plus sévère des formes quand on les représente telles qu’elles font dans leur relief, que lorsqu’on les imite seulement sur une superficie plane par le moyen du crayon ou du pinceau. Ces deux instrumens ont à l’aide d’un maniement adroit, & du clair-obscur, un prestige capable de cacher l’ignorance ou la négligence du copiste. Un sculpteur fort médiocre ne commettroit pas contre la justesse des formes & contre les proportions, les fautes qu’on peut remarquer dans les ouvrages de quelques habiles peintres.

Il ne faut chercher dans les peintures de Michel-Ange ni, la couleur, ni l’harmonie, ni l’entente de la composition, ni l’art de jetter les draperies, ni l’intelligence du clair-obscur, ni l’observation des convenances. Quelle grandeur avoit-il donc dans la seule partie qu’il possédoit, puisqu’il a conservé si long-tems toute sa gloire, lorsque tant de qualités lui manquoient, & que ces qualités sont précisement celles qui plaisent ?

Mais s’il conserve des admirateurs, & surout si les figures de son jugement dernier sont toujours à Rome l’objet des études des jeunes artistes, il a trouvé de sévères censeurs. On lui a reproché de n’avoir peint que de grossier, porte-faix & des servantes d’hôtellerie ; de avoir observé ni bienséance ni costume ; d’avoir profané le saint lieu par la représentation d’une foule de nudités ; d’avoir observé une disposition symmétrique dans un sujet où la nature entière doit être dans tout le désordre de la destruction ;


d’avoir représenté dans un sujet chrétien le nocher Caron avec sa barque ; d’avoir plus étudié le Dante que la doctrine de l’Eglise, & de s’être livré sans réserve à la bizarrerie de son imagination, au lieu de se pénétrer de la terreur religieuse qu’il devoit éprouver.

Peut-être ne faudroit-il pas exiger de Michel-Ange les parties de l’art qui n’étoient pas connues de son temps, la couleur, le clair-obscur & même la composition qui n’est née qu’après lui, du génie de Raphaël. La disposition symmétrique, étoit le défaut de ses prédécesseurs, & ce défaut étoit en possession de plaire : il n’est pas donné même à l’homme de génie de s’élever à tous les égards au-dessus de son siècle : il est des époques, où c’est être bien grand que de s’élever au-dessus des autres dans quelques parties. Quant aux convenances elles ne sont pas une partie constitutive de l’art, & elles peuvent se trouver dans l’absence du talent ; le plus mauvais Peintre peut les observer sans que cette observation lui donne à peine un mérite de plus, & le plus grand Peintre y manque, sans avoir, comme Peintre, un mérite de moins. Il faut louer l’artiste quand il est en même, temps, Historien, Antiquaire, Théologien, Philosophe, suivant les sujets qu’il traite : mais il faut le louer comme artiste, même lorsqu’il est simplement artiste. Le but de Michel-Ange, comme le fut en général celui des anciens artistes de la Grèce, étoit de montrer sa science du nud ; & ce projet lui imposoit d’autres convenances que celles du sujet : c’est donc à ces convenances qu’il s’est livré, & il ne pouvoit considérer son sujet comme ses censeurs, puisqu’il le considéroit avec des vues différentes. S’il a introduit le fabuleux Caron dans un sujet chrétien, les Poëtes faisoient alors le même mélange de la Mythologie payenne avec les vérités du Christianisme. Pardonnons au Peintre ce qu’on avoit pardonné au Dante, à Sannazar. On l’excuseroit plus difficilement d’avoir négligé la grace & la beauté, si ces qualités eussent pu se trouver unies avec la force qui faisoit son caractère, & qu’il a représentée dans toutes ses productions. Ses figures ont le genre de beauté qui s’accorde avec l’extrême vigueur, & non celle qui s’accorde avec les graces ; elles peuvent faire des actions terribles, & ne seroient pas propres aux actions qui exigent une agréable souplesse.

Michel-Ange aimoit la solitude. Il disoit que la peinture étoit jalouse, & vouloit que ses amans se livrassent à elle sans réserve.

Jamais, dit M. Reynolds, il ne se fit une étude des agrémens accessoires, & il semble que son ame sublime avoit le droit de mépriser les parties inférieures de l’art. Toutes ses idées étoient élevées, sublimes ; ses figures sembloient appartenir à un ordre supérieur à l’humanité