ECO
de secrétaire de son conseil privé. Chargé des instructions nécessaires, & de lettres de créance qu’il gardoit secrettes, il passa à Londres en qualité de peintre voyageur, fut présenté au Roi, eut l’adresse de le sonder sur ses dispositions envers l’Espagne, & lui montra ses lettres quand il eut reconnu que ce Prince n’étoit pas éloigné de consentir à la paix. Le traité fut conclu, & un Ambassadeur plus illustre par ses titres & par sa naissance fut nommé par l’Espagne pour ratifier les opérations politiques du peintre. Charles, pour témoigner sa reconnoissance à Rubens, le décora du cordon de son ordre, & lui donna un riche diamant qu’il tira de son doigt. Craignant de ne l’avoir pas encore assez dignement récompensé, il le créa chevalier en plein parlement, lui donna la même épée dont il venoit de se servir pour cette cérémonie, & le renvoya chargé de présens. Philippe, à qui Rubens alla rendre compte de sa négociation, le fit Gentilhomme de sa chambre & l’honora de la clef d’or.
Rubens riche & chargé d’honneurs sembla ne continuer de peindre que pour suivre son goût ou pour se prêter aux desirs de ceux qui desiroient avoir de ses ouvrages. Cette complaisance augmenta considérablement sa fortune. Un grand nombre d’habiles élèves avançoient d’après ses esquisses les tableaux qu’il entreprenoit & qu’il se contentoit de retoucher.
Il fut encore chargé dans la suite de différentes négociations avec les Provinces-unies, avec Marie de Médicis & Gaston d’Orléans lorsqu’ils se retirèrent à Bruxelles, avec Wladislas, Roi de Pologne, & avec d’autres Princes.
La nature lui avoit accordé les qualités qui servent à persuader & à plaire ; la beauté de la taille & celle des traits, une physionomie noble & douce, un regard agréable, un son de voix flatteur, une éloquence naturelle. Il avoit joint à ces dons heureux les avantages qui peuvent s’acquérir par le travail ; il savoit sept langues anciennes & moderne & avoit une grande étendue de connoissances variées : Il employoit à orner son esprit le temps même qu’il consacroit à son art, & avoit à côté de lui un Lecteur pendant qu’il peignoit. Avec tant de supériorité sur les autres peintres de son temps, il les forçoit à la lui pardonner & même à l’aimer, en affectant de se montrer leur égal & ne prenant sur eux d’autre avantage que celui de leur faire du bien. Il mourut en 1610, à l’âge de soixante-trois ans, dans un état de caducité prématurée qu’on peut attribuer á l’excès du travail.
Le nombre desouvrages de Rubens est immense. Il peignoit l’histoire, le portrait, le paysage, les fruits, les fleurs, les animaux, & il étoit habile dans tous ces genres. Il inventoit facilement & exécutoit de même. On l’a vu fouvent faire de suite plusieurs esquisses, toutes différentes, du même sujet.
Il aimoit les grandes compositions & il y étoit propre. Il n’avoit pas, comme Raphaël, cette douce inspiration qui se manifeste par des effets doux & gracieux comme elle ; mais il avoit cette fougue de génie, ce feu intérieur qui cherche à s’élancer, & qui se manifeste par des effets qui étonnent. Il sembloit que toutes les figures, tous les grouppes qu’il imaginoit, sortissent de son cerveau pour se porter sur la toile, & que, pour créer, il n’eût besoin que d’un acte de sa volonté.
On lui a trop injustement contesté la qualité de bon dessinateur. Son dessin etoit grand & facile, il connoissoit l’anatomie ; mais la science cédoit chez lui à l’impétuosité de la conception, à la vivacité de l’exécution ; il préféroit l’éclat des effets à la beauté des formes, & sacrfioit trop souvent la correction du dessin à la magie de la couleur. Enfin il avoit plus les qualités qui supposent une conception pleine de feu, que celles qui exigent une sagesse refléchie, & une méditation profonde. Il avoit étudié l’antique, Michel-Ange, Raphaël ; mais loin que ses études l’ayent élevé jusqu’à la beauté idéale, il se tint à l’imitation de la nature flamande. Ses muscles sont bien attachés, les fonctions en sont bien accusées ; mais ils sont plutôt gros & mollasses que fermes & charnus ; ce défaut se remarque sur-tout dans ses corps de femmes, & il ne donne à leurs têtes que la beauté des belles Flamandes. I1 est quelquefois maniéré dans les extrêmités.
Il a su rendre plutôt de belles étoffes que jetter de belles draperies. Ses figures sont richement habillées, mais elles ne sont pas toujours, comme celles de Raphaël, savamment drapées : car, dans la langue des arts, il ne faut pas croire qu’habiller & draper soient deux termes synonymes. Un peintre de portraits peut habiller très-bien ses figures, sans être capable de bien draper celles d’un tableau d’histoire.
On ne peut refuser à Rubens de la science dans l’expression : mais à prendre ses ouvrages en général pour marquer son caractère, & négligeant les exceptions, on pourra dire que ce n’est pas dans ses tableaux qu’il faut chercher ces expressions douces & attachantes qu’on admire dans Raphaël. I1 étoit plutôt capable de peindre les fortes affections, que les affections calmes & paisibles ; il rendoit bien les convulsions de la nature, mais il n’auroit pas exprimé de même les tendres passions qui la rendent plus belle.
C’est principalement sur le coloris que l’on fonde sa gloire. Cependant il n’a pas surpassé, il n’a pas même égalé dans cette partie le Titien. Il mérite sur-tout la palme, pour la grandeur, l’impétuosité, la variété de sa composition. Il est le premier des peintres d’apparat, & l’un des