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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/446

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des objets absolument inanimés, on pouvoit se contenter, en les peignant, d’une imitation froide de leurs formes & de leurs couleurs. Mais aujourd’hui que ceux qui les observent ont surpris en elles des impressions presqu’intelligentes ; aujourd’hui qu’on en voit quelques-unes fuir avec une sorte de pudeur la main indiscrette qui se hasarde à les toucher, d’autres se pencher pour s’imbiber des particules de l’air, ou faire briller leurs charmes à l’éclat du jour, ouvrir les beautés de leur sein à la lumière, les refermer tristement quand elle les abandonne, & charmer par le sommeil l’ennui de son absence ; presque toutes enfin s’unir par des relations sympathiques, & n’être pas étrangères à quelques-unes des sensations que la nature accorde aux animaux : les fleurs exigent que les imitations qu’on en fait donnent une idée de mouvement, on oseroit presque dire d’une impression relative aux circonstances qui les modifient.

Au reste, l’imitation des fleurs peut être considérée sous deux aspects ; sous l’un elle est étendue & appropriée à l’art pris dans son systême le plus général ; sous l’autre elle se renferme en elle-même sans se mêler avec celle d’aucun objet étranger. Le premier genre d’imitation convient aux peintres d’histoire lorsqu’ils introduisent des fleurs dans leurs tableaux, & le second aux peintres de fleurs proprement dits.

Une manière large, & plus spirituelle que rendue, peut rappeller l’idée des fleurs sans faire d’elles un portrait détaillé & terminé. C’est ce procédé qui convient au peintre d’histoire & qu’il doit suivre, pour que la manière dont il traite les fleurs se rapproche de celle dont il a traité les : autres objets de sa composition. Ce principe est fondé sur celui de l’unité, & sur les convenances réciproques du faire des différens objets dans un même tableau. On doit voir que tout y est traité d’une même main, pour un même objet, & dans un même principe. Des parties peintes avec les détails recherchés de Gérard Dow, ou telles que les traite ordinairement le peintre de portrait, manqueroient aussi bien de convenance dans un tableau d’histoire généralement peint d’une manière large, que des fleurs & des fruits qui y seroient représentés avec le terminé précieux de Van-Huysum. Le principe d’unité exige dans ce genre qu’un intérêt sentimental soit l’objet prédominant auquel tout autre objet se rapporte & est subordonné. Comme il ne seroit pas possible de rendre avec le détail & la précision que conviennent au peintre de fleurs tous les objets qui doit offrir une grande composition ; il faut que ceux qui, se prêtant à une étude fixe & tranquille, seroient susceptibles d’être rendus avec le fini le plus précieux, se


sacrifient pour ainsi dire, & se dévouent à n’être que rappellés à l’imagination, sans que leur perfection particulière l’emporte sur les objets de qui dépend l’intérêt principal. Ainsi le Poussin, dans son tableau de l’empire de Flore, ne s’est pas avisé de rendre les fleurs dans la manière de Séghers.

Cette partie du systême de l’art, connue & sentie par tous ceux qui le pratiquent avec supériorité & même seulement avec intelligence, est une de celles qu’il est le plus difficile de faire comprendre aux personnes qui n’ont que des connoissances superficielles de la peinture. Il est cependant un moyen de la mettre à portée de ceux qui ont du moins quelque connoissance des autres arts, & c’est en de semblables occasions qu’il est utile de les rapprocher. Qu’on se rappelle en effet quelques-unes des observations que j’ai présentées à l’article ACCESSOIRES ; on sentira que, dans un poëme, la description extrêmement soignée & curieusement détaillée d’un objet particulier peut passer pour un défaut, ou du moins pour une inconvenance, parce qu’elle arrête l’action, ou qu’elle détourne l’intérêt. Dans la musique, lorsqu’un air, quelque parfait qu’il soit, n’appartient qu’épisodiquement au fond du sujet, il est regardé comme un ornement ambitieux, & comme un véritable défaut, s’il attire trop exclusivement l’attention & s’il la détourne trop longtemps de l’objet principal. Dans l’architecture, un frise trop ornée, quoiqu’exécutée avec toute l’adresse dont l’art est capable, déplaît si elle n’est pas subordonnée à l’intention du mouvement, & au caractère général de l’édifice où elle est placée. Une des premières loix du goût, est donc de bien décider la place que doit occuper chacun des objets d’une composition, de les accorder entr’eux dans la manière de les traiter, & de subordonner ceux qui doivent naturellement céder à l’objet qui doit tenir le premier rang.

Quant au spectateur qui ne veut entrer dans aucune connoissance raisonnée de l’art, si, par exemple, dans un tableau d’Europe enlevée par Jupiter caché sous la forma d’un taureau qu’elle a paré de fleurs, il ne s’attache qu’à desirer que les roses aient toute la fraîcheur qui leur est propre, que chaque feuille en soit rendue avec la plus scrupuleuse précision, & que même elle soit encore humectée par quelques gouttes de rosée, que servira de lui parler d’intérêt, d’unité, d’ensemble ? Il reviendra toujours à sa rose, comme le moucheron pour qui elle est tout dans l’univers.

Je ne prétends pas cependant lui ôter ce bonheur, je veux seulement qu’il en jouisse d’une manière plus convenable. C’est pour lui principalement que travaille le peintre aimable qui fait


Beaux-Arts. Tome I. Q 1