Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
308 GÉN GÉN


ration dans tous les arts libéraux, doivent naturellement être celles qui tiennent de plus près à la qualité la plus spirituelle de l’âme ; elles peuvent, par conséquent être regardées comme appartenant aussi de plus près au génie : plus indépendantes du méchanisme particulier de chacun des arts, elles tiennent en effet plus intimement à l’esprit.

D’après cette idée, l’invention est la partie dans laquelle le peintre se montrera plus véritablement homme de génie ; car l’invention est une partie également principale & essentielle dans tous les arts.

En suivant cette ligne tracée, l’ordonnance, qui appartient encore à tous les arts libéraux, se trouvera voisine de l’invention ; cependant, lorsqu’un la considère dans la peinture, elle commence à se soumettre forcément à plusieurs parties du méchanisme de l’art & des conventions auquel il est astreint.

Il existe par exemple, pour l’ordonnance des objets & des figures qui entrent dans un tableau, des loix qui sont absolument propres à la peinture & qui ne sont pas les mêmes dans l’art de la sculpture, quoique ces deux arts se tiennent de si près. A bien plus forte raison ces loix qui asservissent l’ordonnance sont-elles différentes encore dans l’art du poëme épique & dans celui de la tragédie. Il y a des différences essentielles appartenant au méchanisme entre l’ordonnance d’une production musicale & celle d’un ouvrage d’architecture. On sent donc que le génie est d’une part plus gêné dans son vol lorsqu’il s’agit de l’ordonnance dans quelque art que ce soit, que lorsqu’il s’agit de l’invention, & qu’il faut aussi, pour apprécier le génie de l’ordonnance, avoir quelques notions du méchanisme ou dit matériel de l’art auquel cette ordonnance est appliquée.

Ce seroit donc l’expression que je placerois près de l’invention, parce qu’il me semble que ce sont les deux parties les plus spirituelles des arts & qu’elles appartiennent au génie dans son caractère le plus indépendant de la pratique de chacun d’eux.

Aussi, en se servant des termes de peinture, on dira plus naturellement, le génie de l’invention, le génie de l’expression, que l’on ne dira le génie du dessin, & le génie de la couleur.

Cependant si l’on s’instruit avec application de tout ce qui appartient à l’art & si l’on en approfondit la connoissance, on s’appercevra que le génie étend aussi ses droits sur le trait & le coloris : sur le trait, parceque bien que les dimensions soient fixées d’après les observations anatomiques ; bien que les beaux modèles antiques nous montrent à cet égard la perfection réalisée, l’art de mettre en œuvre cette correction dans les circonstances différentes, l’art d’y joindre le sentiment, la vie & la grace,


demande l’influence immédiate du génie ; mais cette influence ne peut absolument suppléer ni à l’exactitude des mesures données, ni à l’imitation savante des plus belles statues.

Il en est de même du coloris, avec une différence qui donne ici de l’extension à l’influence du génie ; c’est que le coloris étant en une infinité de circonstances à la volonté de l’artiste, son intelligence est plus libre, & le génie qui est une des perfections de l’intelligence, est plus indépendant du méchanisme, & peut décider l’artiste pour ce qui assurera ; le succès de ses ouvrages.

Comme je n’ai pas prétendu, à beaucoup près, exclure l’ordonnance des domaines du génie, je consens qu’elle dispute de rang avec la fécondité, la richesse, la noblesse ; mais lorsqu’on approfondira bien toutes ces parties pour connoître en quoi elles tiennent au génie, on verra que c’est par les points où elles se rapprochent de l’invention.

Il resteroit à désigner les marques réelles, ou du moins celles qu’on doit regarder comme les plus caractéristiques, du génie dans l’art de la peinture.

Le caractère d’originalité peut, à ce que je pense, obtenir un des premiers rangs, & ce caractère est infiniment rare, ainsi que le vrai génie.

En effet il est non-seulement difficile, mais encore presque impossible que les artistes, en concevant les idées des ouvrages qu’ils entreprennent, ne donnent pas accès à tout ce qu’ils ont vu ou étudié qui ait quelque rapport à l’objet dont ils s’occupent. On doit donc regarder non-seulement comme rare, mais comme surnaturel en quelque sorte, la faculté de trouver en soi & tout seul (pour m’exprimer ainsi) des manières nouvelles d’imaginer un sujet ; des conceptions enfin qui n’ayont aucun rapport sensible à rien de ce qui s’est produit, & qui ne paroissent pas être une simple extension, ou une combinaison de ce qui existoit déjà.

Cette marque de génie est extrêmement rare ; elle n’est pas facile à reconnoître à cause des imitations plus ou moins détournées & plus ou moins cachées. Dans tous les objets ; dans tous les genres, elle distingue réellement bien peu d’artistes, bien peu d’auteurs, & l’on peut encore aspirer au nom d’homme de génie sans posséder ce don si rare.

Le premier peintre de nos siècles modernes, Raphaël, a peut-être moins de signes de cette originalité de génie que Rubens, & le Tintoret.

Il en résulte que quoique le génie soit la partie la plus brillante dans les arts, quoiqu’elle se fasse sentir expressément dans l’originalité, elle ne peut élever un artiste au premier rang sans le concours de plusieurs autres


parties