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sans doute, mais où cependant elle est généralement belle ; sous un climat dont la douceur rend les vêtemens incommodes à des hommes qui agissent ; sous des mœurs inspirées par ce climat, & qui permettoient aux hommes de se dépouiller, non seulement pour les exercices de la gymnastique, mais pour la plupart des exercices de la vie ; ils étoient aussi habitués à voir le nud, que nous le sommes à voir des vêtemens, & ils saisissoient aussi vîte la beauté des formes, que nous saisissons la beauté & la bonne coupe d’un habit. Ces comparaisons, je ne dirai pas fréquentes, mais habituelles de différentes formes, & de leur jeu dans les différentes actions, donnerent aux artistes grecs un sentiment exquis du beau, & ils ont fait passer ce sentiment dans leurs ouvrages. C’est donc en étudiant ces ouvrages, que l’artiste moderne acquerra l’idée du beau qu’il ne se formeroit jamais par l’inspection du petit nombre de modèles qu’il pourroit se procurer à grands frais dans toute sa vie.

Mais comment se former une idée de la beauté générale, puisqu’il y a dans l’espèce humaine différentes classes de beautés, & que celle d’un Hercule n’est pas celle d’un Apollon ou d’un gladiateur ?

L’idée générale de la beauté humaine la plus parfaite doit être prise dans l’àge le plus parfait, c’est-à-dire, dans celui où l’homme a pris tout son accroissement & toute sa beauté, sans avoir éprouvé aucune dégradation ; elle sera prise dans l’état le plus noble, c’est-à-dire, dans celui qui permet à l’homme les exercices qui développent sa beauté, sans lui imposer aucun de ceux qui la déforment. C’est de ce premier modèle que l’en partira pour trouver les différentes classes dans lesquelles les hommes peuvent être partagés par leurs habitudes, leurs travaux, leurs conceptions même qui ont de l’influence sur l’extérieur. Chacune de ces classes aura sa beauté générale, exempte des défectuosités individuelles. La, beauté d’Apollon sera celle d’un homme qui exerce habituellement & doucement une partie de ses forces : la beauté d’Hercule sera celle d’un homme qui les exerce habituellement toutes, & même avec une sorte de violence, mais sans excès : la beauté de Vulcain, s’il pouvoit être beau, seroit celle d’un homme qui, non seulement, les exerce, mais qui les excède. De ces trois sortes de beautés, la première seule aura le complément de la perfection. Il en sera de même des âges différens de l’âge parfait ; il manquera quelque chose à la perfection, dans les uns, parce qu’ils ne l’auront pas encore atteinte, dans les autres, parce qu’ils en auront déjà perdu. Ainsi la beauté d’un vieillard sera celle d’un homme qui eut la beauté parfaite dans sa pleine virilité, & dont la nature semble respecter encore la beauté, même en


la dégradant. Son maintien témoignera qu’il est affoibli, mais on reconnoîtra qu’il fut vigoureux autrefois. Les plis que forment les muscles de la face, seront creusés plus profondément, mais la peau de son visage ne sera pas sillonnée de rides multipliées, & se croisant entre elles ; ses paupières n’auront plus leur premiere fermeté, ses joues leur première rondeur, ses regards leur ancien feu, & l’on pourta remarquer quelque foiblesse dans les muscles moteurs de ses lèvres. L’adolescence n’aura pas la plénitude qui doit former la beauté de l’homme : on sentira dans la maigreur de ses muscles la fatigue qu’ils viennent d’éprouver en prenant leur accroissement en longueur ; mais c’en l’âge suivant qui accomplira leur accroissement, en épaisseur, & qui achevera leur perfection On verra qu’il ne leur manque plus que ce dernier accroissement pour y parvenir, & cet âge est déjà beau de la beauté qu’il promet, & dont il approche. L’enfance ne manque pas elle-même de sa beauté générale. La rondeur excédente de ses formes indique qu’elles ont des développemens à éprouver pour parvenir à la beauté de l’adolescence, & à celle de la virilité ; son action est une maladresse naïve & gracieuse, parce que cet âge n’a pas la force & l’expérience qui donne la justesse des mouvemens.

Ces réflexions, la plupart fournies par M. Reynolds, nous conduisent à la connoissance d’une beauté déjà idéale, puisqu’elle ne se trouve dans aucun individu. On l’appelleroit pourtant mieux beauté de choix, ou, suivant l’expression de M. Falconet, beauté de réunion, puisqu’elle forme un tout dont on a choisi dans la nature les parties dispersées, pour les rassembler en un seul objet. Mais pour parvenir au dernier complément de l’idéal, il reste encore à revenir sur ce tout formé de différentes parties prises dans la nature, & dont aucune n’est défectueuse, pour supprimer celles dont la beauté inférieure, ou l’utilité moins sensible., ou le volume moins apparent, nuit aux formes qui ont un caractère frappant de beauté, de grandeur & d’utilité. C’est ce qu’ont fait les anciens ; & c’est par ce moyen, qu’ils ont élevé l’art au point de représenter la nature héroïque, & même une nature divine, vraisemblable dès qu’on suppose les Dieux sous la figure de l’homme. Ils ont supprimé des parties de l’homme, toutes celles qui rendent témoignage de sa foiblesse, & dès lors la forme humaine ne semble plus indigne des Dieux.

Cette suppression des parties subalternes, ordonnée par l’art à celui qui veut le traiter dans toute sa grandeur, n’est pas moins imposée par la nature. En effet, pour ne parler ici que du peintre, s’il se place à une distance convenable pour embrasser d’un coup-d’œil son modèle,


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