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reliefs & autres objets semblables ; mais que l’illusion s’affoiblit lorsque les mêmes objets présentent un ou deux pieds de saillie. Nous accorderons encore qu’elle peut avoir lieu au premier instant, dans les tableaux de fleurs, de fruits ou d’autres représentations sans mouvement, quoique ce ne soit ordina rement qu’avec le secours de quelque effet de lumière ménagé à dessin, joint à quelque motif qui oblige le spectateur à rester à une assez grande distance de ces imitations, pour empêcher les regards d’en juger avec autant d’exactitude qu’ils le feroient sans cet obstacle ; mais il est sans exemple qu’un tableau de plusieurs figures, exposé au grand jour, ait jamais fait croire à personne que les objets représentés, fussent en effet des hommes veritables.

Nous ne nous arrêterons donc pas à quelques faits qu’on pourroit alléguer en faveur de la possibilité de l’illusion dans la représentation de la figure humaine, tel que le buste d’un abbê peint par Charles Coypel, qui, découpé & placé dans une galerie derrière une table, & dans un jour convenable, a trompé plusieurs personnes, jusqu’au point de les engager à le saluer. Outre que ce fait n’admet point dans ce tableau un degré de saillie au delà de celui jusqu’où nous avons posé que la peinture peut faire illusion, puisqu’il n’y avoit point de fonds derrière la toile, il est aisé de voir que cette erreur ne venoit que du peu d’attention avec laquelle les personnes trompées jettoient quelques regards indirects de ce côté, ainsi que de l’adresse avec laquelle on tenoit cette peinture éloignée des yeux, & dans un jour qui empêchoit d’en juger au premier abord. On n’ignore pas que cette illusion, qui ne naît que de la surprise & de l’inattention, peut être produite par les plus mauvais ouvrages, ainsi qu’il arrive souvent au premier aspect de ces peintures découpées qui représentent une balayeuse, un suisse, &c., & personne n’en a jamais conclu qu’elles eussent atteint le vrai but de l’art.

Osons ajouter que cette espèce d’illusion, prise à la rigueur, seroit une prétention aussi vaine qu’absurde de la part de l’artiste, surtout dans les sujets combinés de divers objets, & avec des distances considérables supposées entr’eux.

Parmi tous les obstacles qui s’y opposent, nous n’en observerons que quelques-uns qui sont la suite naturelle de notre manière de sentir de juger. Cette habitude que nous avons de juger, & l’épreuve que nous faisons journellement de la lumière sur les surfaces, de quelque couleur qu’elles soient, suffiroient seules pour déceler le manque de réalité.

S’il est permis de hasarder quelques idées particulières sur ce sujet, ne seroit-on pas


fondé à penser que cette faculté de rectifier les erreurs des sens, acquise par l’expérience & presque sans reflexion, est principalement l’effet de la sensation que le plus ou le moins de force de la lumière produit sur les yeux ? Si les enfans sont aisément trompés aux plus grossiers objets d’illusion, & qu’il n’en soit pas de même lors que l’expérience a perfectionné en eux la faculté de juger ; n’est-il pas vraisemblable que le sentiment de l’impression de la lumière est pareillement susceptible de perfectibilité, quoique peut-être dans un moindre degré, & qu’enfin nous parvenons, par une gradation insensible, à éprouver des différences entre les divers degrés de force avec lesquels elle agit sur nos yeux ; &, par ce sentiment, à juger avec assez de certitude des distances & des surfaces ?

Il s’ensuivroit de là que les rayons réflechis par une surface plane, venant de la même distance, & conservant un degré de force égale entr’eux, on ne peut empêcher, quelqu’artifice qu’on employe, que cette surface ne paroisse telle qu’elle est. Ce principe admis nous feroit concevoir une des causes de ce qui est confirmé par l’expérience de tous les temps ; c’est que tout espoir d’illusion, prise à la rigueur, est refusé à la peinture, quand elle entreprend des sujets un peu compliqués quant aux saillies inégales, & aux distances supposées entre les objets.

Par une suite de cette supposition, qu’on croit pouvoir établir comme une vérité, on observera que ce qui doit s’opposer le plus à l’illusion dans la peinture, c’est la fausseté inévitable des ombres qui désignent les enfoncemens. Le peintre ne peut imiter les enfoncemens ombrés que par des couleurs obscures, étendues sur une surface plane toujours susceptible, quelque couleur qu’on y ait posée, de refléchir la lumière avec un degré de force relatif à sa distance réelle. Or, il doit résulter de la connoissance que nos yeux nous donnent du véritable plan de cette surface, opposé à l’idée d’enfoncement que le peintre a voulu faire naître, une contrariété qui décele la fausseté.

Aussi peut-on remarquer que les défauts qu’on trouve à reprendre dans les plus grands maîtres, quant à l’effet, regardent presque toujours leur manière d’ombrer ; ce qui peut contribuer, à prouver que le faux nécessité dans la peinture, vient toujours des ombres. On reproche aux uns de tomber dans des tons roussâtres ; aux autres, bleuâtres ; à quelques-uns, violâtres ou verdâtres.

Ce défaut paroît même inévitable à la rigueur, quoiqu’il soit peut-être dans l’ordre des possibilités de le rendre moins sensible. Une des raisons que l’on croit pouvoir en donner, c’est qu’outre l’impossibilitè de dompter entièrement