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traitée & quelquefois médiocrement exécutée, on peut être certain que cen’eftpas cette partie dont il a fait un choix principal & qu’on doit regarder comme la caufe de l’on talent : mais la partie dans laquelle il fe montre conftamtnent fupérieur à fes rivaux, eft celle dont il s’eft particulièrement oc ;upé, celle dont il a fait l’objet fpécial de (es obfervations , de fes méditations , de fes études , celle enfin qui eft la première caufe des beautés qu’on remarqne dans fes ouvrages. Par ce moyen , on reconnaîtra que la partie, dont Raphaël avoit fait choix étoit l’expreflion -, celle du Corrège, l’harmonie ; celle du Titien , la couleur ; & l’on étudiera , l’on imitera principalement ces trois maîtres pour la partie dans laquelle chacun d’eux a excellé.

r. Raphaël eft lui-même un exemple de l’utilité qu’un artifte peut retirer de l’imitation de fes prédéceffeurs. Il avoit reçu de Pérugin , fon maître , la manœuvre de l’art & la pratique d’un deffin exact & correfl : il prit à Florence, dans les ouvrages du MarTacio , une première idée de l’antique , & celle d’une meilleure manière de drapper ; dans les ouvrages de Michel Ange, la grandeur du trait ; dans ceux de Barthélemi de Saint-Marc , l’art d’empâter plus fortement fes couleurs, & d’aggrandir l’es maffes.

Après avoir copié dans les meilleurs maîtres quelques-unes des parties danslefquelles ils ont excellé , il faut chercher dans la nature , & y copier des parties femblables : c’eft ainfi que l’on compare la nature à l’art le plus exquis , & qu’on apprend comment la nature doit être vue par le grand artifte

Mais plus encore que les meilleurs artiftes modernes , l’antique & la nature doivent être les principaux objets de l’imitation ,■ ils ont été les maîtres des plus grands maîtres , & c’eft à eux fur-tout qu’il faut demander des leçons. Ce qui eft véritablement dangereux , c’eft de fe traîner fur les traces d’un feul artifte : on chargera fes défauts , & l’on n’aura jamais toute fa beauté ; aucun imitateur d’un feul maître ne s’eft fait un grand nom-, les élèves de Raphaël lui - même n’auroient laiffé qu’un nom obfçur , s’ils n’avoient pas eu des parties qui les diftinguent de leur maître. Le Pouffin a beaucoup vu , beaucoup étudié , beaucoup obfervé ; mais il a peu copié. Il fe contentoit même de faire de légères el’quifTes des chofes remarquables qu’il trouvoit dans les antiques ; ce qu’il ne faut entendre cependant que des antiques inférieures qui lui fourniffoient des objets intéreffans pour le’coftume. Il difoit fbuvent que c’eft en obfervant les chofes qu’un peintre devient habile, plutôt qu’en le fatiguant à les copier. Mais s’il a peu copié , jl a beaucoup imité.

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S’il eft dangereux de fe rendre copifte ou même^ imitateur fervile , il faut convenir que c’eft à l’imitation bien entendue que l’art doit fes progrès , puifqu’on doit reconnoître que fi les artiftes n avoient pas mis à profit les découvertes de leurs prédéceifeurs , l’art feroit toujours demeuré dans l’enfance de la barbarie. Un maître a détruit la roideur des formes , un autre la fechéreffe du pinceau , un autre la l’ymmétrie gothique de la compofition : fi ces maîtres n’avoient pas eu d’imitateurs , ces défauts dégraderaient l’art encore aujourd’hui comme du temps de nos pères.

Limitation eft non-feulement utile dans les premiers pas de la carrière , elle l’eft dans tout le cours de la vie. Sans elle, l’imagination, livrée à elle-même, s’aff’oibliroit , tomberoit dans la langueur , &c ne feroit que fe promener dans le cercle qu’elle auroit déjà parcouru. Mais par l’imitation, on varie fes conceptions, & l’on parvient même à leur imprimer le caractère de l’originalité. Que cette imitation libre, originale, créatrice, prenne le titre d’émulation ; elle fera toujours l’effort d’un artifte pour prendre dans fes rivaux exiftans ou paffés , les qualités qui les diftinguent Se qu’il veut furpaffer encore.^

L’invention, dit M. Reynolds, eft une des plus grandes qualités caraftériiliques du génie ; mais fi l’on confulte l’expérience , on trouvera que c’eft en fe rendant familières les inventions de* autres qu’on apprend àjnventer foi-même, ainfi qu’on s’habitue à penfer en lifant les idées d’autrui.

C’eft avoir fait un grand pas dans la carrière de l’art que d’être parvenu à former afleï fon goût pour connoître & apprécier les beautés des productions des grands maîtres ; car la feule confeience de ce goût qu’on aura pour le beau j fuffira pour élever l’efprit, 8c l’affecter d’un noble orgueil, femblable en quelque fort» a celui qu’il pourroit concevoir s’il avoit produit lui-même les objets qu’il admiré. Notre efprit ainfi vivement échauffé par le contact de ceux à qui nous voudrions reflcmbler , acquerra immanquablement plus ou moins de leur manière de penfer, 8c recevra quelques étincelles de leur feu & quelques rayons de leur éclat. Cette difpofirion à prendre involontairement l’air & les manières de ceux avec qui nous vivons, difpofnion fi forte dans l’enfance , nous la confervons pendant toute notre vie , avec cette feule différence que, dans la jeuneffe , l’efprit eft plus fouple & plus capable d’imitation , aulieu que , dans un âge plus avancé, il devient plus dur & demande à être échauffé & amolli avant qu’il puiffe recevoir une impraffion pro- ; fonde.

Les conceptions des grands maîtres doivent nous feryir d’aliment à tous les âges. Elles ne font