Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/776

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

P E I des couleurs & le véritable caractère des ombres : c’est un mérite différent qu’on pourroit comparer à celui du Titien ; c’est la sorte de mérite qui appelle & fixe les regards. La couleur de Polygnote étoit foible, dit Quintilien : Apollodore qui fut bien rendre les ombres, qui trouva le moyen de faire illusion en exprimant l’apparence des objets, qui porta enfin la partie du clair-obscur à un dégré que nous ne pouvons apprécier, puisque nous n’avons pas ses ouvrages, put faire des tableaux vigoureux. M. Cochin, qui rend justice à Raphaël, dit qu’il y a quantité de ses ouvrages dont le premier aspect doit déplaire à quiconque n’est pas connoisseur. Il y a donc une grande différence entre un peintre d’un grand, & même d’un beau caractère, & un peintre qui attache les regards. On pourroit donc, sans se contredire, après avoir fait l’éloge de Michel-Ange & de Raphaël, dire en parlant d’un peintre coloriste, qu’il fut le premier qui arrêter les regards.

On écrivit sur les ouvrages d’Apollodore : « on l’enviera plutôt qu’on ne l’imitera. »

(9) ZEUXIS d’Héraclée, étoit, suivant Aristote, cité par Suidas, contemporain d’Isocrate, qui mourut dans un âge très avancé 378 ans avant notre ere, dans la troisième année de la 90e olympiade. Pline rapporte qu’il reçut un défi de Parrhasius, contemporain de Socrate, & ce philosophe mourut 400 ans avant notre ere : on peut donc croire qu’il fleurit entre la 90e. & la 95e. olympiade. Peut-être plus jeune que Polygnote, il étoit son contemporain.

Zeuxis, défié par Parrhasius, apporta des raisins peints que des oiseaux vinrent becqueter : Parrhasius apporta de son côté un rideau peint, que son rival le pria de tirer, afin qu’on pût juger de son ouvrage. Zeuxis se déclara vaincu, parce que lui-même n’avoit trompé que des animaux, & que Parrhasius avoit trompé un peintre. Ce n’est pas sur ces petites illusions d’un moment que l’on juge des ouvrages de l’art. Ce n’est pas sur la représentation d’une grappe de raisin & d’un rideau, que les plus grands peintres d’un siècle florissant par les arts, se disputent le prix. Voyez l’article ILLUSION. Mais si l’on suppose que ce récit avoit quelque fondement, il peut nous faire apprécier les progrès que l’art avoit faits dans les parties nécessaires à des illusions semblabes.

Ce qui pourroit nous donner une plus haute idée du talent de Zeuxis, ce sont les vers qu’Apollodore fit à sa louange, & dont Pline nous a conservé le sens : il s’y plaignoit que cet émule lui avoit enlevé l’art & se l’étoit réservé. Il étoit beau d’être loué par un artiste qui a reçu lui-même tant d’éloges.

Nous avons parlé de la Centauresse de Zeuxis


à l’article MYTHOLOGIE. Il ne paroît pas s’être principalement occupé, comme Polygnote & Mycon, de grandes compositions sur des murailles ; il se plut à faire des tableaux d’un petit nombre de figures, & ce genre a été préféré par ses successeurs. Ses principaux ouvrages sont une Pénélope, dans laquelle, suivant Pline, il paroissoit avoir peint les mœurs de cette princesse, ce qui suppose plus de talent dans l’expression qu’Aristote ne lui en accorde ; ce sont un Athlete, un Jupiter sur son trône entouré des Dieux ; un Hercule enfant qui étrangle des serpens en présence d’Amphitryon & d’Alcmene, une Hélene, un Marsyas lié. Chargé de faire une Hélene nue pour les Crotoniates, il choisit les cinq plus belles filles de ce peuple pour réunir dans une seule figure ce que chacune d’elles avoit de plus beau. Ce fut ainsi que les Grecs, chez qui la nature étoit féconde en beaux modèles, parvinrent à élever les ouvrages de l’art à la plus haute beauté.

Quoique les peintres, long-temps avant Zeuxis, employassent différentes couleurs, il fit des peintures monochromes ou camayeux en blanc sur un fond brun : c’est le procédé contraire à celui de Polidore de Caravage qui faisoit enduire de noir une muraille, & la peignoit en enlevant le noir par hachures.

Zeuxis acquit de grandes richesses, & s’en servit pour étaler un faste imposant : il se montroit aux jeux olympiques avec un manteau sur lequel son nom étoit brodé en lettres d’or. Dès lors il fit présent de ses ouvrages, croyant qu’ils ne pouvoient être payés dignement. Si l’on blâme son orgueil, on peut avoir quelqu’estime pour sa fierté ; elle ne messied point aux grands talens. J’aime à voir le peintre Zeuxis imposer de la reconnoissance au Roi Archélaüs, à qui il fit présent d’un tableau qui représentoit le dieu Pan. Il donna aussi une Alcmene aux Agrigentins.

Ce peintre faisoit des modèles en argille. On transporta à Rome ceux qui représentoient les Muses. Nous avons dit ailleurs combien ce talent est utile aux peintres.

Marius Victorinus, qui vivoit au milieu du quatrième siècle de notre ere, dit qu’il existoit encore des ouvrages de Zeuxis, ce qui suppose une durée de sept siècles & demi. Un grand nombre d’ouvrages de nos grands maîtres, dont les plus anciens ont a peine trois siècles, sont déjà détruits ou dégradés par la vétusté.

Pline reproche à Zeuxis d’avoir fait les têtes trop fortes, & Quintilien d’avoir généralement chargé les membres de ses figures.

(10) PARRHASIUS d’Ephese, fils & disciple d’Evenor, observa le premier, dit Pline, la proportion dans la peinture, rendit la finesse du

Mmmm g