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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T02.djvu/115

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c’est-à-dire de la plume. Son maître fut la nature. Amsterdam lui ossroit le spectacle d’un port toujours garni de vaisseaux : ce fut des vaisseaux qu’il dessina, & ses dessins lui furent souvent payés cent florins & même davantage. On lui conseilla de peindre ; il se mit sous la conduite d’Aldert Everdingen, apprit les secrets de l’art, & continua de derober ceux de la nature. Pour les surprendre, il ne craignoit pas d’affronter les plus grands dangers, & montant sur de frêles barques, c’étoit au milieu des flots tourmentés & prêts à l’engloutir, qu’il alloit étudier les tempêtes. Souvent il étoit ramené à terre malgré lui par les matelots qui refusoient de partager son audace. Aussitôt, sans se distraire, sans parler à personne, sans rien regarder, il couroit à son cabinet & fixoit sur la toile les horreurs qu’il venoit d’admirer. A la grande vérité que lui procuroient de semblables études, il joignoit une belle touche, une excellente couleur. « C’est, dit M. Descamps, un peintre dont les ouvrages seront estimés de tou les temps, comme ils le furent pendant sa vie. » Les bourguemestres d’Amsterdam lui commanderent une grande marine, qu’ils regarderont comme un présent digne d’être offert à Louis XIV.

Backhuysen étoit l’homme d’Amsterdam qui traçât le mieux les caractères de l’écriture : il avoit la complaisance d’en donner des leçons, Il inventa même une méthode pour en fixer les principes, & qui, dit-on, est encore suivie. Cette occupation lui ravissoit un temps précieux. Ses récréations étoient consacrées à la poësie, & il avoit pour amis les meilleurs poëtes & les savans les plus célébres de son temps. Il mourut en 1709, âgé de soixante & dix-huit ans.


(211) Luc Giordano, de l’école Napolitaine, naquit à Naples en 1632. Son père étoit voisin de Joseph Ribera : Giordano le voyoit peindre & prit le goût de la peinturé. L’artiste Espagnol le reçut dans son école ; l’élève avoit reçu de la nature une grande facilité, & dès son enfance, il étonna par ses progrès. Échauffé par le récit des beautés qu’offrent les tableaux de Rome, il s’évada de la maison paternelle, & partit pour cette ville. Il y connut Pietre de Cortone, aida ce peintre dans quelques grands ouvrages, goûta sa manière & l’adopta. Son père, qu’il aidoit à subsister par son travail, fit avec lui le voyage de Bologne, de Parme, de Venise, de Florence, & dans ces différentes villes célèbres par les chefs-d’œuvre des plus grands maîtres, il fit de riches provisions d’études. On pourroit lui reprocher de les avoir faites avec trop de célèrité.

Il étoit obligé de se partager entre elles &


les ouvrages qu’il faisoit pour subsister & pour nourrir son père, qui lui disoit sans cesse, Luca, fa presto, « Luc, fais vite ; » on a fait de ces mots son surnom, & il l’a mérité par la prestesse extrême dont il s’est trop piqué toute sa vie. La situation où il se trouva dans sa jeunesse peut le faire excuser : mais rien ne doit engager à le prendre en cela pour modèle.

Comme il avoit étudié tous les maîtres, il se fit une manière composée de toutes les manières. On le loua, on le compara à l’abeille qui compose son miel du suc de toutes les fleurs. Avouons qu’il seroit plus louable encore, s’il se fût fait un caractère qui lui eût été propre, ou si l’on n’eût pu remarquer au moins l’imitation que dans un petit nombre de parties.

Quelques uns de ses tableaux passèrent en Espagne. On manquoit de peintres à fresque dans ce Royaume, il y fut appellé, & en peu d’années il y fit de grands ouvrages dans les palais du roi & dans les temples.

Il excelloit dans un genre fort inférieur à ses talens ; celui des pastiches. Il avoit si bien retenu les manières des différens maîtres, qu’il n’avoit plus besoin de voir leurs ouvrages pour les imiter. Le roi d’Espagne lui montra un tableau du Bassan, & témoigna le regret de n’en avoit pas le pendant. Giordano le fit, & les connoisseurs le prirent pour un ouvrage du Bassan lui-même. Le monarque le récompensa par l’ordre chevaleresque de lui avoir causé cette surprise.

A son retour dans sa patrie, il se vit accablé d’ouvrages & sa maniere expéditive lui permettoit de n’en refuser aucun. Quelquefois, dans la chaleur du travail, il employoit ses doigts au lieu de brosses. Une heure lui suffisoit pour peindre une demi-figure, grande comme nature. Aussi personne n’a fait un si grand nombre d’ouvrages, pas même le Tintoret. Il les prodiguoit avec générosité, & en a donné plusieurs fois à des églises qui n’avoient pas le moyen de les payer.

Il n’avoit de la vivacité que dans son art ; jamais il n’eut d’emportement dans la société. Son humeur égale & douce le rendit cher à ses amis, à ses émules & à ses élèves.

Le Giordano a cherché quelquefois, & surtout dans sa jeunesse, la vigueur du Ribéra, mais bien plus souvent l’agrément de Pietre de Cortone. Sa grande prestesse lui a fait commettre des incorrections, mais généralement son dessin n’est pas vicieux : on peut ajouter qu’il n’a pas non plus un grand caractère, qu’il manque trop de fermeté, qu’il a trop de rondeur. Les chairs de ses femmes ont de la morbidesse ; celles de ses enfans ont la mollesse qui convient à cet âge. Il peignoit bien, d’un pinceau moëlleux, d’une grande manière ; ses


Beaux-Arts. Tome II. O