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de la nature, & une patience dont les peintres Hollandois ont presque seuls été capables.

La couleur ardente, & les effets piquans de Bassano, de Tintoret, de Jordaens, de Joseph Parrocel : la touche vive & résolue de Caravage, de Salvator-Rosa, sont, comme les bouillantes compositions de Rubens, de Paul Véronese, de Jules Romain, l’effet d’imaginations tellement enflammées, que ni les détails des formes, ni la sévérité des caractères, ni l’exactitude dans l’expression spéciale à chaque sujet, n’ont pu les arrêter un instant.

D’un autre côté, la grande recherche des traits d’esprit, & la scrupuleuse raison ont imprimé une sagesse, un intérêt & une vérité exprimables dans les ouvrages de le Sueur, du Poussin, & surtout dans ceux du Dominiquin, qui font peu regretter cc dont ils auroient pu être animés par des mouvemens plus hardis, & par les effets les plus pittoresques.

En variant ainsi les talens, les diverses qualités satisfont les goûts divers. Il n’y a donc pas de mérite exclusif. Par exemple, pour les esprits viss & les sens faciles a émouvoir, les sujets brillans, les mouvemens variés, & le coloris piquant dont Watteau & Lafosse ont animé leurs tableaux, paroîtront préférables aux vérités douces & au fini précieux des Hollandois ou des Allemands. De leur c8té, ces talens seront recherchés par des ames tranquilles & par des yeux observateurs. Les fantaisies, les idées presque bizarres des Tintoret & des Tiépolo, partent d’un mérite piquant & d’un goût distinctif, que dédaigne souvent, & mal à propos, le peintre raisonneur ; mais qu’il seroit incapable de produire.

Les progrès que les modernes ont faits dans les parties qu’on appelle pittoresques, la liberté heureuse par laquelle ils ont étendu la carrière des talens, ont aussi étendu les bornes & les jouissances de l’art. Et nous avons lieu de croire que, malgré les différens goûts des peintres dont parle Pline, les artistes antiques ont cru que, hors les beautés qui tenoient à l’exactitude des formes, & à l’expression des caractères, il n’en existoit plus dans l’art. Ainsi, Michel-Ange, Puget, Bernini ; le premier Porté à la vigueur des mouvemens & à la puissance excessive des formes ; le second, au sentiment & au plaisir de rendre toutes leurs inflexions, & le troisiéme à des idées piquantes & hardies, auroient eu tous trois des qualités perdues pour cette suite infinie de tous les plaisirs que l’art peut procurer.

Nous ne connoissons guère dans la sculpture & la peinture antiques qu’un genre de beautés. C’est le genre vraiment sublime ; mais tous les artistes qui n’étoient pas nés avec les qualités propres à la précision, au grand, & au sentiment qui seuls peuvent y conduire, étoient


des hommes absolument nuls pour l’art : d’où a dû résulter que les ouvrages des artistes inférieurs de l’antiquité ont été au dessous de ceux des modernes, qui ne se bornant pas au seul mérite de la correction, lorsqu’ils n’y sont pas portés par leurs dispositions, ont su se frayer une nouvelle route, & intéresser par un genre de talent dans lequel ils ont d’autant mieux réussi, qu’ils le tenoient de leurs qualités naturelles.

Malgré tout l’avantage de cette exactitude, de cette pureté que donne ie style antique, il existe cependant des beautés dans l’art qui en sont distinctes, d’autres qui sont même incompatibles avec elle. Telles sont, par exemple, les beautés individuelles de Rembrant, de Ribera, de Cano, & de Velasquez ; telles sont la souplesse, le moëlleux & cet heureux abandon de l’Allegardi, & du Puget ; telles sont enfin les graces de Murillo, du Parmesan & du Corrège. Qui donc oseroit conseiller une résistance aux qualités qui portent à cette force & à ces graces ? Qui seroit assez froid pour n’en pas sentir tout le prix, & n’en pas gouter tous les charmes ?

Il y a plus : l’art n’est plus animé, si oes dons inlpirés en sont tout à fait exclus. Ce n’est pas assez, dit Horace, d’être pur dans son style, il faut encore s’y rendre aimable.

Non satis est pulchra esse poëmata, dulcia sunto.

Art. Poët.

C’est pour donner cette leçon, sans doute, qu’un statuaire antique a placé les trois graces dans la main d’Apollon. Disc. sur les antiq. étrusques, par M. d’Hancarville.

Avouons cependant que le succès des hommes nouveaux dont nous venons de parler, a souvent été fatal pour leur siècle, parce que bien des artistes ont voulu suivre leur exemple avec des qualités qui n’y étoient pas propres. De-là le danger des écoles systhématiques & des adoptions exclusives qui ont détérioré le goût de l’art. Ensuite est survenu l’établissement des corps académiques, qui ont achevé d’écarter des routes où conduisoient les qualités naturelles qui sont différentes en chaque individu. Les académies sont ordinairement dominées par une puissance qui violente les goûts, contrarie les penchans, & empêche de rien produire qui ait la force que donne l’originalité. Quelques génies plus prononcés, sont parmi nous ([1]) assez courageux pour tenter de s’affranchir de cette servitude ; mais leurs efforts seront sans fruits, si les académies ne sont tellement réformées qu’il n’y existe plus de pouvoir concentré & permanent, & si tous

  1. (1) Cet article a été écrt au mois d’Avril 1790.

Beaux-Arts. Tome II. H h