aient paru depuis la naissance de la peinture : il lui a manqué l’expression & les convenances, qui sont moins des parties de la peintures proprement dite, que de la poësie pittoresque.
Cet artiste laborieux mourut à Venise en 1588 dans sa cinquante huitième année. Quelques tableaux qu’on lui attribue, & qui ne paroissent pas tout-à-fait dignes de lui, peuvent être de Ben, son frère, ou de Carlo ou Gabriele, ses fils, qui ont le plus souvent travaillé avec lui, & qui ont quelquefois peint séparément dans sa manière.
Le roi posséde de Paul Véronese vingt-six tableaux, entre lesquels on doit distinguer le repas chez Simon le Pharisien dont nous avons parlé. Lépicié reproche au célébre Peintre sa funeste économie dans l’achât de ses couleurs, économie qui lui a fait épargner l’outre-mer, & qui est cause que le ciel a noirci ; ce qui détruit l’harmonie du tout ensemble : reproche que Véronese a mérité dans plusieurs de ses ouvrages.
Le tableau des pélerins d’Emaüs justifie la place que nous avons assigné à Paul Véronese plutôt entre les peintres de portraits historiés qu’entre les peintres d’histoire. Cet ouvrage est absolument du genre qu’on appelle portraits de famille : le peintre y a introduit sa famille entière. « Mais cette faute contre le costume, dit Lépicié, fait naître tant de beautés du côté de l’ordonnance & de l’exécution, qu’il n’est guerre possible d’en savoir mauvais gré à ce grand homme. »
Jesus-Christ est représenté à table avec les deux disciples, au moment où les yeux levés vers le ciel, il bnit le pain. A sa gauche est Paul Vêronese. La femme de cet artiste, debout & magnifiquement vêtue, porte entre ses bras un enfant à la mamelle qui badine avec son collier. Deux de ses fils, habillés à la Vénitienne, sont auprès d’elle ; l’un paroît vouloir se cacher sous sa robe dans la crainte d’un épagneul que tient son frère & qui veut s’échapper. Deux petites filles, en corps de robe de damas à fleurs, s’amusent à caresser un gros chien couché devant la table. Des spectateurs, des domestiques, qui servent, & deux enfans, dont l’un à genoux a la main droite posée sur un vase, sont placés sur différens plans. La scène se passe dans un vestibule orné de colonnes cannelées, dont l’entrée laisse voir la campagne. Il est inutile d’observer que cette décoration est mal choisie, que cette pompe d’architecture est déplacée, que ces personnages Vénitiens, & ces épisodes de chiens & d’enfans choquent les convenances du sujet, du temps ou il s’est passé, & même de la raison qui, dans tous les genres, défend de distraire de l’objet principal, par des accessoires inutiles, l’attention du lecteur ou du spectateur.
Ce tableau a été gravé par Sim. Henri Tho massin, habile graveur, mais peu capable de rendre le Véronese. Le repas chez le Pharision a été gravé par le Fevre, qui n’a jamais rendu que la composition & a négligé l’effet. On a de cet artiste un grand nombre d’estampes d’après le Véronese. Augustin Carrache a gravé, d’après le même peintre, le mariage de Sainte Catherine, Jesus-Christ mort, Jesus-Christ en croix, le martyre de Sainte Justine, & beaucoup d’autres tableaux dont il n’a pas exprimé la couleur.
(43) J. Fernandez Ximenes de Navaretta, dit el Mudo ou le Muet, de l’école Espagnole, naquit à Ligrogno, d’une famille noble, en 1532, Il sert à prouver que la nature ne laisse pas sans de grandes ressources ceux mêmes de ses enfans, qu’elle semble traiter le plus en marâtre. Navaretta étoit sourd & muet de naissance : mais des figures que, dès son enfance, il se plaisoit à tracer sur les murailles, & qui étoient supérieures à celles que dessinent communément les enfans, firent soupçonner ses dispositions pour la peinture, & cette espérance ne fut pas trompeuse. Il eut pour maître un Dominiquain, alors estimé dans son art.
Navaretta, après avoir reçu les premiers élémens de la peinture, passa en Italie, étudia les chefs-d’œuvres de Rome, & se rendit à Venise où il fut admis dans l’école du Titien. Sa réputation naissante le fit rappeller dans sa patrie, où il fut occupé dans le palais de l’Escurial. Formé à l’école du plus grand des coloristes, il ne se montra pas indigne d’un tel maître, & l’on dit qu’il joignoit l’expression à la partie séduisante de la couleur. Les poëtes de son pays ne manquerent pas de célèbrer ses talens, qui sembloient contraster avec les privations auxquelles il avoit été condamné par la nature. Il mourut à l’Escurial en 1572, dans sa quarantième année.
(44) Martin de Vos, de l’école Flamande, d’abord élève de son père, peintre alors estimé, & ensuite de Franc Flore, naquit à Anvers on ne sait pas précisément en quelle année. Il fut bientôt compté entre les meilleurs artistes de son pays, & reçu dès l’âge de vingt-trois ans de l’académie d’Anvers. Mais placé au rang des maîtres par ses concitoyens, il ne conçut point un orgueil qui autoit pu l’arrêter dès l’entrée de sa carrière, & alla se mettre à Rome au nombre des élèves. Il y fit de grands progrès dans l’art du dessin, sentit qu’une autre école pouvoit lui donner de plus savantes leçons sur la couleur, & se rendit à Venise. Le Tintoret non content de lui donner des conseils, offrit de l’associer à