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des artistes éclairés que l’on trouve le grand poëte réuni au grand peintre. Annibal avoit la poësie de son art, quand ses sujets n’étoient pas au dessus de ses lumières.

Il se distingua par la beauté du dessin, le bon choix des attitudes, & la belle manière de draper. En général sa couleur étoit matte, comme celle de tous les Carraches ; quelquefois cependant elle eut de l’éclat & de la fraîcheur. Il dessinoit fièrement les raccourcis, & excelloit dans les beautés mâles. On voit dans plusieurs de ses beaux ouvrages les muscles savamment exprimés ; mais avec douceur, & ressentis sans presque paroître. On lui reproche un peu de rondeur dans les contours, un peu de charge dans le nud des femmes ; il réussissoit mieux dans les enfans. Il sut, dans la manière de peindre, dissimuler le soin & introduire une négligence apparente qui fait la plus agréable séduction du métier ; c’est lui qui a donné le modèle de cette manœuvre justement goutée des modernes, mais qu’ils semblent trop regarder comme une des parties capitales de l’art. Il cherchoit à imiter le Corrége ; mais il ne put l’atteindre dans l’extrême variété des formes, dans l’ondoyant des contours, & en voulant imiter les grandes demi-teintes de ce maître, il lui arriva de tomber dans le grisâtre. On paroît s’accorder à lui assigner le premier rang après les trois plus grands maîtres, Raphaël, le Titien & le Corrége. Il a surpassé chacun d’eux dans quelques parties ; il a réuni à un assez haut dégré plus de parties qu’aucun d’eux ; mais il n’a pas, comme aucun d’eux, excellé au plus haut dégré dans une partie capitale, & c’est à cette excellence que sont réservés les premiers rangs.

On l’a loué d’avoir profité des détails de la nature commune que les grands maîtres dans l’art du dessin avoient cru devoir négliger ; d’avoir regardé la nature comme la limite de l’art, & les suppositions d’une beauté supérieure à la nature comme chimériques : nous ne croyons pas devoir adopter ces jugemens ; ils sont d’un artiste dont le nom pourroit leur donner de l’autorité : mais cette autorité est balancée par celle d’un grand nombre d’autres artistes justement célèbres, & doit céder surtout aux grands principes de la haute poësie de l’art. Louons plutôt Annibal de ce qu’arrivé à Rome dans un âge où communément on dédaigne de se réformer, il corrigea sa manière après avoir vu l’antique & les ouvrages de Raphaël, modéra la fougue de son génie, châtia ce qu’il y avoit de trop chargé dans ses formes, & chercha à imiter la beauté du caractère antique.

Le cabinet du Roi renferme vingt-deux tableaux d’Annibal ; nous ne parlerons que d’un petit nombre. deux Nativités dont l’une peinte


sur cuivre, estimée par la beauté du dessin & par la manière savante avec laquelle le peintre a conduit sa lumière dont l’enfant Jesus est le foyer : l’autre regardée comme un morceau des plus précieux par la fierté & le grand goût du dessin, la vigueur du coloris, l’expression & le beau choix qui règnent dans les plis des draperies : le silence du Carrache, où se joint aux mêmes parties de l’art l’élégante simplicité de la composition : Jesus-Christ placé dans le tombeau, morceau d’une belle composition ; & d’une expression vraie & touchante : la resurrection de Jesus-Christ, tableau d’une belle poësie : Saint Sébastien, qui suffiroit pour faire connoître le mérite du maître : un paysage avec un hermite en méditation ; tableau digne de la réputation d’Annibal dans la peinture du paysage.

Augustin eut un fils naturel nommé Antoine, qui, dit-on, auroit pu égaler & surpasser peut-être les autres Carraches, s’il avoit vécu plus longtemps. On vante les trois chapelles qu’il a peintes à fresque à San-Bartolomeo nell’isola. On voit au cabinet du Roi un tableau de ce peintre représentant le déluge. Il y a de l’action & de la variété dans la composition ; mais on sent trop que l’artiste a voulu faire usage des académies qu’il avoit dans son porte-feuille. On y remarque une belle pensée. Un vieillard essaye de se sauver sur un cheval blanc qu’il embrasse de ses deux mains ; un homme veut s’attacher à ce cheval, & en est mordu à la tête sans paroître même sentir la douleur qu’il éprouve, & sans que cette douleur lui fasse lâcher prise. Ce tableau est bien dessiné & bien peint, mais il pêche par la couleur. La rareté des ouvrages d’Antoine contribue à le rendre très-précieux.

Tous les artistes & les amateurs des arts connoissent les estampes de la galerie Farnèse peinte par Annibal. Roullet a gravé, d’après ce maître, les Saintes-Femmes au tombeau de J. C. Le Silence a été gravé par Hainzelmann.


(66) Jean Van-Achen, de l’école Allemande, né à Cologne en 1556, montra dès l’enfance de grandes dispositions pour la peinture. Dès l’âge de dix à onze ans, sans avoir eu de maîtres, il dessina le portrait d’une dame étrangère qui passoit par Cologne, & ce portrait fut trouvé très-ressemblant. Ses parens ne purent résister à une preuve si frappante de son penchant naturel, & ne songèrent plus qu’à le seconder.

Le jeune artiste, après avoir passé dans son pays six années sous la conduite d’un peintre assez estimé, alla chercher en Italie les leçons que ne pouvoit lui fournir l’Allemagne. Il s’arrêta à Venise, à Rome, à Florence. Pendant