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A

ABANDON, s. m. état où est une chose, une propriété délaissée.

ABANDONNER, v. act. (donner à ban, au public) c’est retirer ses soins, son attention d’une chose, d’une propriété ; si elle est foncière, c’est la laisser tomber en friche & en vague pâture.

À la vue des landes & des terres abandonnées qu’on trouve fréquemment dans certaines provinces, dont le sol cependant paroît propre à la culture, les voyageurs cherchent la cause de cet abandon qui, en donnant à ces contrées l’aspect désagréable des pays sauvages, prive en même temps l’état dont elles font partie, d’une grande portion de revenus.

Quelques-uns pensent, que les friches dénotent l’insuffisance de la population de ces cantons pour en mettre le sol en valeur, & qu’ils manquent de bras capables de les travailler.

La plupart croient, sans examen, que l’abandon de ces terres est l’effet de la paresse du cultivateur, ou de l’insouciance du propriétaire.

Les uns & les autres sont dans l’erreur. Loin que ces friches soient un effet de la paresse ou de l’impéritie du propriétaire ou du cultivateur, elles prouvent au contraire qu’il est attentif à ses affaires, & qu’il sait calculer. Il n’y a guères qu’un fou, qui renonce volontairement aux produits que son domaine peut lui donner, & qui dédaigne ou refuse de solliciter la terre à produire. Tout autre propriétaire ou cultivateur n’abandonne sa terre & ne se prive de culture, que parce qu’une expérience répetée lui a fait comprendre, que cette terre cultivée ne lui rendoit pas l’intérêt des avances qu’il employoit à la cultiver, & ne lui payoit point son temps ni ses peines.

Mais comment des terres dont le sol n’est pas absolument mauvais, ne peuvent-elles payer les peines & les labeurs de celui qui les cultive ? Comment arrive-t-il qu’étant cultivées soigneusement, elles ne rendent pas même l’intérêt des avances qu’on a faites pour les mettre en rapport ?

C’est tantôt parce que l’impôt, le cens & la dîme que supportent ces terres, sont excessifs comparativement au revenu qu’elles peuvent donner, quoique bien travaillées.

Tantôt, parce qu’il y a gêne & sur-tout prohibition à la circulation des denrées du sol ; ce qui empêche la concurrence des acheteurs en les éloignant, suspend les demandes, arrête le transport de ces denrées, en diminue les ventes & les fait enfin tomber en non valeur, ou les tient à un prix si bas, que ce prix ne peut compenser les frais faits pour travailler ces terres, & suffire en même temps à payer les redevances & les tailles dont elles sont chargées. C’est quelquefois par l’influence de ces deux fléaux réunis.

Dans le premier cas, où l’impôt beaucoup trop fort n’a plus de proportion avec le revenu de la terre sur laquelle il est assis, le propriétaire n’a que l’option d’abandonner cette terre, & de s’épargner ainsi les frais d’avance de culture, de temps, de peines qu’elle exigeoit, ou de continuer à payer annuellement cet impôt sans mesure, qui, attaquant d’abord l’intérêt des avances de culture, & les absorbant progressivement, doit finir par en dévorer le capital. Si ce propriétaire sait réfléchir, hésitera-t-il long-temps sur le parti qu’il doit prendre, & le terme de sa résolution ne sera-t-il pas l’abandon de sa terre ?

Lorsque les gênes & les prohibitions obstruent ou ferment les débouchés, le cultivateur qui voit que ses denrées tombent à un prix au-dessous de ce qu’elles lui coûtent, ou même qu’elles demeurent invendues par défaut de liberté & d’acheteurs, comprend, après plusieurs années d’essais coûteux & d’attente inutile, qu’il ne doit plus s’efforcer d’augmenter l’abondance qui ne peut lui être que nuisible. Il invoque au contraire la disette qui, dans l’état présent des choses, peut seule donner du prix à ses grains entassés dans ses granges & dans ses greniers. Il observe que tous les cultivateurs, que tous les propriétaires d’un pays regorgent de grains que tous veulent vendre & pas un acheter ; que les gênes, que les défenses ont comme anéanti pour eux les consommateurs, pour tout le temps que le régime prohibitif durera ; & ce régime ne lui paroissant pas devoir finir de si-tôt, il ne trouve de moyens de le soutenir qu’en épargnant sur ses avances. Il doit toujours payer sa ferme ou du moins ses tailles, nourrir & entretenir sa famille, &c : son embarras ira toujours croissant, s’il tient sa culture dans l’état où elle est. Les revenus diminueront, & les dépenses demeurant les mêmes il ne pourra manquer de se ruiner. Il entreprend alors forcément de diminuer ses dépenses, de s’en tenir aux ouvrages les plus indispensables, de se passer de tous les ouvriers qui ne lui sont pas d’une absolue nécessité. S’il avoit trois charrues, il en met une à bas, parce qu’alors il épargne l’achat, la nourriture & l’entretien de deux chevaux ou de deux bœufs, les gages & la nourriture du charetier qui les mène ; mais il n’a plus les mêmes secours pour labourer & pour amander ses terres ; il se voit donc contraint d’en abandonner une partie.

Dès-lors voilà les friches qui commencent, & avec elles la diminution des produits du sol. Ces