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par-tout ailleurs, le sac de farine passe pour le produit de deux septiers & se paye sur ce pied là. Les Boulangers ne veulent avouer que quatre cents livres de pain produits par ce sac. Ce qui ne fait que deux cents livres par septier, & ils se font payer en conséquence. La différence de deux cent, à deux cent-soixante ou environ est pourtant de plus d’un cinquième.

Dans les provinces on ne tire d’un septier pesant deux cent-quarante livres, que cent-quatre-vingt-dix, cent-quatre-vingt, & cent-soixante & dix livres de pain, même très-médiocre en plusieurs endroits.

C’est de là que vient cette variété si singulière du prix du pain dans les villes du royaume. Le grain étant au même prix dans deux provinces, on a vu le pain se vendre cinq sols la livre dans l’une, & trois sols dans l’autre ; c’est deux tiers dans l’une au-dessus du prix de l’autre.

On peut citer pour exemple la ville d’Arras. Les députés des états voyant l’hiver 1768, que le pain y renchérissoit sans cesse, firent venir des farines du midi de la Picardie ; ils firent vendre ces farines à raison de quatre sols & demi la livre de farine. Cependant les Boulangers vendoient le pain provenu de cette farine cinq sols la livre, prétendant sans doute ; 1o. qu’il falloit une livre de farine pour faire une livre de pain. 2o. Qu’on devoit accorder six deniers par livre de pain au boulanger pour ses frais & bénéfices.

Dans le vrai, il ne faut pas tout-à-fait trois livres de farine pour faire quatre livres de pain. Les boulangers de Paris conviennent tous, que trois cens-vingt livres de farine font quatre cens livres de pain. Ceux qui disent vrai, & les personnes désintéressées qui s’occupent tous les jours de cet objet depuis plusieurs années, savent que les trois cens-vingt livres de farine produisent toujours environ quatre cens trente livres de pain. Il est aussi prouvé qu’à Paris même, les frais de toute espèce qu’entraîne la fabrication du pain, ne reviennent pas à un denier & demi la livre, & tous les boulangers raisonnables conviennent qu’un sol par pain de quatre livre, ou un liard par livre, est un bénéfice suffisant.

À Arras donc un pain de quatre livres n’auroit dû se vendre en 1768, au jugement même des boulangers de Paris, que quatorze sols six deniers ; car dans ce pain il y avoit tout au plus trois livres de farine. Les députés de la province fournissoient cette matière moyennant treize sols six deniers à raison de quatre sols & demi la livre. Le sol pour le boulanger étant ajouté, c’est évidemment quatorze sols & demi. Le peuple le payoit vingt sols, c’est plus d’un tiers en sus de sa vraie valeur, par la mauvaise foi & l’ignorance des boulangers, qui n’auroient pas mis cette surcharge énorme s’ils n’avoient pas eu un privilège exclusif, qui leur ôtoit l’émulation & la crainte de la concurrence.

De mille & mille exemples pareils, on doit conclure, avec la plus grande certitude, que par le moyen d’une bonne mouture des grains & de la bonne boulangerie, le pain du peuple sera diminué de plus d’un cinquième dans les lieux où ces deux arts sont plus perfectionnés ; d’un quart dans le général du royaume, & d’un tiers en plusieurs endroits.

Ajoutez d’abord le rabaissement de prix qui naîtra de cette épargne ; puis le profit considérable qui revient au peuple de l’égalité des prix & de l’exclusion des monopoleurs, ensuite le surcroît de récolte, occasionné par l’émulation & l’aisance que procureroit aux cultivateurs la bonne vente continuelle, enfin le profit qui naitroit de la suppression des gênes & des petites exactions que supportent en tant de lieux le bled, la farine, le pain.

Plus on méditera ces objets, plus on verra clairement que le pain du peuple commerçant, artiste & manœuvre, au-lieu d’augmenter, resteroit plutôt au même prix, ou même diminueroit, quoique les grains fussent augmentés même d’un quart & au-delà.

Empêcher l’augmentation du pain par le moyen de la bonne mouture économique & de la bonne boulangerie, en donnant par-tout la liberté & l’immunité le plus qu’il sera possible ; l’instruction la plus claire, la plus multipliée, la plus continuelle, & sur-tout le bon exemple, avec zèle & persévérance ; c’est donc le vrai moyen d’opérer les bons effets dont nous venons de parler ; de procurer un revenu de 440 millions d’accroissement annuel, qui feront subsister au-delà de deux millions de plus d’hommes utiles travaillant habituellement dans le royaume au profit des cultivateurs, des propriétaires, des seigneurs & du roi, chacun pour leur part, sans rien retrancher de la subsistance du peuple actuel, ni de ses autres jouissances.

Nous ne calculerons pas ici ce que la liberté du commerce des grains produiroit d’augmentation dans les revenus des propriétaires des moulins, nous renvoyons, pour le détail, à l’article Mouture ; mais nous dirons en passant que cette augmentation seroit considérable.

Que seroit donc l’état du royaume jouissant de la liberté & de l’immunité parfaite, du commerce des grains, de la farine & du pain ?

Premièrement chaque particulier, comme consommateur du pain, n’auroit plus autre chose à faire qu’à se connoître en pain, ce qui est très-facile. Quoique chacun fût libre de faire son pain, les particuliers auroient plus de profit à l’acheter tout cuit, quand ce commerce jouiroit de l’immunité totale, & quand l’instruction, accompagnée du bon exemple, l’auroit perfectionnée ; par-ce que les frais de toute espèce pour une grande