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l’état & à lui-même. S’il est digne de sa place, il se fera un devoir, un honneur de la remplir dans toute son étendue, de partager ses soins entre toutes ses fonctions, sans en dédaigner aucune. Il animera par la rapidité de son travail, celui des subalternes. Il sera toujours au courant ; aucune requête, aucune plainte, aucun mémoire ne restera dans les bureaux ou entre ses mains, que le temps nécessaire pour être lu, examiné, répondu, expédié avec la promptitude qu’on doit attendre d’une administration diligente & active. L’ordre dans les affaires en accélère beaucoup l’expédition ; un esprit éclairé, expérimenté, qui voit d’un coup d’œil toutes les faces d’un objet, qui saisit le vrai point de la question la plus embrouillée, & se décide d’après des principes invariables, la hâte encore davantage. Un chef de bureau qui connoît à fond son département, expédie plus d’affaires en un jour que n’en pourroit finir en un mois un commis dépourvu de lumières ; celui-ci est embarrassé à chaque cas nouveau, ne se décide qu’à tâtons, est souvent obligé de revenir sur ses pas. Il est donc très-important que les emplois supérieurs & inférieurs de l’administration soient remplis par des hommes instruits, laborieux, actifs & intégres. Sans cela on ne peut espérer qu’il y ait jamais de l’ordre dans les affaires, de la sagesse dans la direction, de la célérité dans l’expédition.

Affaires étrangères. On donne le nom d’affaires étrangères à tous les intérêts qu’un prince, une république ou un autre corps politique peut avoir à traiter, à discuter avec les autres puissances. La politique extérieure des états n’étoit pas à beaucoup près aussi compliquée autrefois qu’elle l’est aujourd’hui. Les grands intérêts des peuples se décidoient presque toujours par la force des armes & rarement par la voie de la négociation. Chaque état n’avoit guères à traiter qu’avec ses voisins ; les connoissances géographiques étoient si imparfaites, qu’on ignoroit souvent jusqu’au nom des peuples éloignés. On apperçoit cette ignorance dans toutes les histoires anciennes. Tacite, le meilleur politique de son temps, Tacite qui avoit parcouru la plus grande partie de l’Allemagne, dit qu’au-delà de la mer baltique, il n’y a point de terres au nord[1] ; il ne soupçonnoit pas même l’existence de ces contrées que nous appellons Dannemarck, Suède, Norwege, Laponie, Livonie, Finlande, &c.

Les Romains envahirent tout ; mais ce fut par des travaux militaires, par le courage & la constance, plutôt que par une conduite douce, ingénieuse & sage, fruit des réflexions du cabinet. Tout leur systême politique se réduisoit à attaquer les peuples les uns après les autres, à augmenter leur puissance de celle des vaincus, & à soutenir avec intrépidité les revers de la fortune. Ils durent leurs succès à leur discipline militaire, à la foiblesse, aux vices du gouvernement des autres nations, au hasard. Nos meilleurs auteurs jugeant des motifs par les effets, prêtent aujourd’hui à ces Romains des vues profondes, des combinaisons ingénieuses & des principes invariables. On attribue à la prévoyance, à l’habileté des chefs de la république, & à l’excellence de leurs maximes d’état des événemens que la fortune seule ou l’enchaînement secret des choses humaines ont produit. On trouve toutes ces belles choses dans les historiens modernes ; mais lorsqu’on ouvre les annales de Rome, on n’y voit qu’un peuple intrépide & heureux, qui d’une année à l’autre multiplioit ses usurpations par la force de son caractère. Quoi qu’il en soit, les Romains ne prévirent pas que leur puissance trop étendue & trop colossale détruiroit infailliblement la liberté & ensuite l’état. Cette faute capitale avouée de tout le monde, annonce peu de progrès dans l’art de la politique.

C’est l’étendue des domaines de la république qui permit à César d’asservir son pays. Nous voyons en Europe des monarchies & des républiques qui subsistent depuis plus de douze siècles ; & il y a lieu de croire que la durée de l’empire romain auroit été très longue, s’il avoit eu pour bornes la mer adriatique, la mer de Grèce, la mer d’Italie & les Alpes. Arcadius & Honorius partagèrent l’empire, & l’une de ces portions formoit encore une monarchie très-puissante & très-rédoutable.

Pendant la décadence & après la destruction de l’empire romain, on vit sortir de ses débris plusieurs états de moyenne grandeur. Il sembloit que les peuples de l’Europe, délivrés du joug des empereurs romains, rentroient dans leurs droits naturels. Charlemagne rassembla quelques parties éparses de ce vaste corps, & en composa une espece de monarchie nouvelle ; mais, après l’extinction des Carlovingiens, elle fut de rechef démembrée ; & depuis cette époque l’Europe se trouve partagée en différens royaumes, républiques, principautés & autres états indépendans, qui se soutiennent par leurs armes ou par leur politique. On conçoit qu’il faut plus de lumieres, d’art & de prudence, pour ménager les intérêts de tant de puissances à-peu-près de force égale, que pour faire valoir ceux d’une monarchie unique, dont les sujets sans cesse armés remuoient tout au gré de leurs volontés. Il n’est pas si aisé d’entretenir dans un mouvement toujours égal une piece de méchanique composée de ressorts délicats & cachés, que de faire agir une machine immense qui se meut, & qui entraîne tout par sa propre force. L’inégalité de puissance, qui subsiste aujourd’hui entre les divers états de l’Europe, les mariages qui réunissent les grandes maisons, les alliances

  1. Voyez le livre de Moribus germanorum.