tranchement préjudiciable à la distribution & à la réproduction.
Qu’on ne soit pas trompé par un avantage apparent du commerce réciproque avec l’étranger, en jugeant simplement par la balance des sommes en argent, sans examiner le plus ou le moins de profit qui résulte des marchandises mêmes que l’on a vendues, & de celles que l’on a achetées. Car souvent la perte est pour la nation qui reçoit un surplus en argent ; & cette perte se trouve au préjudice de la distribution & de la réproduction des revenus.
Qu’on maintienne l’entière liberté du commerce, car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l’état, consiste dans la pleine liberté de la concurrence.
Qu’on soit moins attentif à l’augmentation de la population qu’à l’accroissement des revenus, car plus d’aisance que procurent de grands revenus, est préférable à plus de besoins pressans de subsistance qu’exige une population qui excède les revenus ; & il y a plus de ressources pour les besoins de l’état quand le peuple est dans l’aisance, & aussi plus de moyens pour faire prospérer l’agriculture.
Le desir qu’ont toutes les nations d’être puissantes à la guerre, & l’ignorance des moyens de faire la guerre, parmi lesquels le vulgaire n’envisage que les hommes, ont fait penser que la force des états consiste dans une grande population. On n’a point assez vu que pour soutenir la guerre il ne falloit pas à beaucoup près une si grande quantité d’hommes qu’on le croit au premier coup d’œil ; que les armées très-nombreuses doivent être & sont ordinairement bien plus funestes à la nation, qui s’épuise pour les employer, qu’à l’ennemi qu’elles combattent ; & que la partie militaire d’une nation ne peut ni subsister, ni agir que par la partie contribuable.
Quelques esprits superficiels supposent que les grandes richesses d’un état s’obtiennent par l’abondance des hommes : mais leur opinion vient de ce qu’ils oublient que les hommes ne peuvent perpétuer les richesses que par les richesses, & qu’autant qu’il y a une proportion convenable entre les hommes & les richesses.
Une nation croit toujours qu’elle n’a pas assez d’hommes ; & on ne s’apperçoit pas qu’il n’y a pas assez de salaire pour soutenir une plus grande population, & que les hommes sans fortune ne sont profitables dans un pays qu’autant qu’ils y trouvent des gains assurés pour y subsister par leur travail. Au défaut de gains ou de salaire, une partie du peuple des campagnes peut à la vérité faire naître, pour se nourrir, quelques productions de vil prix, qui n’exigent pas de grandes dépenses ni de longs travaux, & dont la récolte ne se fait pas attendre long-temps : mais ces hommes, ces productions & la terre où elles naissent, sont nuls pour l’état. Il faut, pour tirer de la terre un revenu, que les travaux de la campagne rendent un produit net au-dela des salaires payés aux ouvriers ; car c’est ce produit net qui fait subsister les autres classes d’hommes nécessaires dans un état. C’est ce qu’on ne doit pas attendre des hommes pauvres qui labourent la terre avec leurs bras ou avec d’autres moyens insuffisans ; car ils ne peuvent que se procurer à eux seuls leur subsistance, en renonçant à la culture du bled qui exige trop de temps, trop de travaux, trop de dépenses, pour être exécutée par des hommes dénués de facultés, & réduits à tirer leur nourriture de la terre par le seul travail de leurs bras.
Ce n’est donc pas à de pauvres paysans que vous devez confier la culture de vos terres. Ce sont les animaux qui doivent labourer & fertiliser vos champs : c’est la consommation, le débit, la facilité, & la liberté du commerce intérieur & extérieur, qui assurent la valeur vénale qui forme vos revenus. Ce sont donc des hommes riches que vous devez charger des entreprises de la culture des terres & du commerce rural, pour vous enrichir, pour enrichir l’état, pour faire renaître des richesses intarissables, par lesquelles vous puissiez jouir largement des produits de la terre & des arts, entretenir une riche défense contre vos ennemis, & subvenir avec opulence aux dépenses des travaux publics pour les commodités de la nation, pour la facilité du commerce de vos denrées, pour les fortifications de vos frontières, pour l’entretien d’une marine redoutable, pour la décoration du royaume, & pour procurer aux hommes de travail des salaires & des gains qui les attirent & qui les retiennent dans le royaume. Ainsi le gouvernement politique de l’agriculture & du commerce de ses productions est la base du ministère des finances, & de toutes les autres parties de l’administration d’une nation agricole.
Les grandes armées ne suffisent pas pour former une riche défense ; il faut que le soldat soit bien payé pour qu’il puisse être bien discipliné, bien exercé, vigoureux, content & courageux.