lit ailleurs les écrits frivoles, les romans & les ouvrages de pur agrément. Ils ont formé l’opinion générale & l’opinion générale a entraîné le législateur.
Un petit nombre de François imitèrent, il y a quelques années, les écrivains anglois. Ils copièrent d’abord leurs modèles, mais ils ne tardèrent pas à les surpasser. Ils ont traité les mêmes matières avec autant de zèle & de désintéressement, & avec cette noble liberté qu’exige la discussion de l’intérêt de l’état. Ils ont fait naître & répandu le goût de la science économique.
Les Anglois ont écrit seuls pendant long-temps sur l’agriculture, sur les arts & le commerce. C’est chez eux que se sont formées les premières sociétés d’agriculture & d’économie politique ; &, depuis un grand nombre d’années, elles accordent des prix à quiconque augmente les progrès de la culture.
L’Italie, la Suisse, l’Allemagne, le Dannemarck, la Suède, la Russie, ont successivement tourné leurs études vers ces objets. « Qui eût deviné, il y a cinquante ans », dit M. Christian Hebenstreit, dans un discours sur les moyens que doit employer l’industrie des colons, pour augmenter la fertilité des terres prononcé à l’académie de Petersbourg le 6 septembre 1756, « que des plantes asiatiques & africaines, accoutumées à n’habiter que les climats les plus chauds, pussent se conserver & se propager dans cette région boréale, ainsi que dans les plages du midi & dans celles de l’orient » ? La Russie a ses Duhamels, & ses campagnes mieux cultivés ne sont plus reconnoissables.
C’est la société, établie en Bretagne en 1757, qui a servi de modèle à celle de Berne, & à celles qui s’établirent à Paris & dans plusieurs provinces de France en 1761.
Ces sociétés s’appliquent avec succès à faire connoître les différentes qualités des terres ; combien il y en a de sortes, propres aux différentes especes de productions ; à quelles marques on doit les reconnoître relativement à chaque espèce de production, à la nature du climat, aux intempéries de l’air. Ils s’étudient à fixer les moments des différentes récoltes, la meilleure manière de les faire & de les conserver ; ainsi que les temps des semailles & la méthode la plus avantageuse de semer ; les qualités & les quantités des semences nécessaires, la manière de les préparer ; la meilleure manière de préparer les terres, de leur donner les divers engrais qui leur conviennent, sur-tout, de les rendre propres à mieux recevoir les influences de l’atmosphère, l’engrais le plus naturel, & le meilleur ; de détruire les mauvaises herbes, les ennemis les plus redoutables du bon grain. Elles nous apprennent la manière la plus sure & la plus avantageuse d’élever les bestiaux, de les nourrir, de les multiplier ; de rendre la toison des moutons d’une meilleure qualité ; l’art de cultiver & de conserver les arbres de toute espèce.
La société de Dublin a changé la face de l’Irlande en publiant ses feuilles. Pourquoi, avec les mêmes soins, les autres sociétés n’auroient-elles pas les mêmes succès ?
Les académies d’agriculture qu’on forme partout, ne sont que des sociétés libres, dont les membres, occupés d’autres travaux, ne peuvent donner assez de temps & assez d’application aux objets de leur institution. Une science aussi étendue & aussi compliquée que l’économie politique, demande les soins d’un homme sans partage. Ceux qui sont pensionnés par le gouvernement, ne travaillent pas toujours autant qu’ils le devroient ; mais enfin on a lieu d’en attendre plus d’activité.
Les expériences d’agriculture sont lentes & coûteuses. Un essai emporte quelquefois le revenu de plusieurs années. Tous ceux qui ont le desir, & qui seroient en état de le faire, ne possèdent pas toujours des terres : il faudroit destiner un fonds suffisant pour la dépense, & un terrein assez vaste, assez varié, pour le succès des essais de l’académie. Les prix ne produisent guères l’effet qu’on en espère : l’incertitude de les obtenir & leur modicité, ne permettent d’y concourir qu’à ceux qui travaillent pour la gloire ; & en général les hommes habiles n’ont pas assez d’aisance pour s’occuper uniquement de leur gloire.
Les découvertes des savans seroient un trésor oisif, si elles n’arrivoient pas jusqu’au possesseur des terres & au laboureur. Le possesseur des terres, qui a reçu quelque éducation, peut s’instruire dans les mémoires des académies. Pour éclairer le laboureur, il faudroit distribuer un abrégé, clair & simple, des premiers principes de l’agriculture, & des méthodes les plus convenables à sa province : il faudroit introduire cet abrégé dans les écoles. On a souvent proposé ce moyen, qui produiroit de bons effets.
Qu’on ne croie point ce projet chimérique ou impossible. Un prince d’Allemagne changea tout-à-fait la face de ses états, il y a à peu près un siècle. Ce Souverain donna à son peuple, par un abrégé, des connoissances utiles, qu’il introduisit dans les écoles : il fit apprendre à ses paysans jusqu’au dessein & la musique. Quoique ces institutions ne subsistent plus dans leur première vigueur, on est surpris de la différence des lumières des habitans de ce pays & de leurs voisins. Tous les villages ont une musique agréable dans leurs églises : il y en a peu où l’on ne trouve assez de paysans bons musiciens, pour exécuter un concert de la musique la plus savante de l’Italie.
Quelques particuliers ont profité de nos livres