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ADM

tout un peuple ; qui présente à ses yeux le pauvre obscur au fond de la province, qui lui fait entendre ses cris, qui lui montre ses larmes, qui dans l’immensité d’un grand royaume anéantit les distances, & range autour de lui, par la pensée, tous ceux auxquels il peut faire du bien.

La vertu nécessaire à un administrateur des finances, n’est fixée par aucune borne. A chaque instant le bien public lui demande le sacrifice de son intérêt, de ses affections, & même de sa gloire. Il faut qu’il soit poursuivi par cette pensée, que la bienfaisance d’un homme d’état est une justice inébranlable ; que cette justice fait le bonheur d’un peuple, & la faveur celui d’un seul homme ; il faut qu’il soit entraîné vers ces principes, où par un heureux instinct, ou par une méditation profonde sur les loix de la société, ou par un mouvement plus grand, plus rapide & plus impétueux ; par l’idée d’un Dieu qui tient entre ses mains les premiers anneaux de cette vaste chaîne, qui nous a permis d’entrevoir l’harmonie de l’univers, & qui dans cet exemple magnifique nous donnant une idée de l’ordre, nous excite à l’observer par l’ardent desir de lui plaire.

Les facultés de l’esprit qui doivent former le génie de l’administrateur des finances, sont tellement étendues & diversifiées, qu’elles semblent, pour ainsi dire, hors de la dénomination de notre langue.

Il faut, pour s’en faire un idée, réunir l’étendue à la profondeur, la facilité à l’exactitude, la rapidité à la justesse, la sagacité à la force, l’immensité à la mesure.

Aussi, devant l’esprit d’administration, tous les autres disparoissent. L’esprit de société se borne à considérer les objets successivement, sous différentes faces & par des rapports ingénieux mais prochains. Il faut que cet esprit ne présente que des combinaisons simples, afin qu’elles soient proportionnées à l’attention d’un instant qui doit les appercevoir. L’esprit d’administration est bien d’une autre trempe. Les objets qu’il doit enchaîner, les rapports qu’il doit saisir, sont à grande distance. C’est à l’hommage des nations & des siecles qu’il doit prétendre ; & c’est à l’étendue de leurs lumieres qu’il doit proportionner ses combinaisons. L’homme doué de cet esprit, peut avoir presque seul la conscience de ses forces. Il ne peut conduire les autres jusqu’aux bornes de ce qu’il voit, & sa grandeur est une grandeur inconnue, souvent, du moins, le secret n’en est confié qu’à la succession des âges ; le tems & la postérité, ce sont-là ses juges.

Peut-il y avoir de la comparaison entre les moyens d’une ame sensible, à quelque degré qu’elle puissent pratiquer la bienfaisance, & ceux qui reposent entre les mains d’un administrateur des finances. Quel plaisir dans le recueillement de la solitude, dans le silence de la nuit, d’élever son ame vers l’être suprême, & de se dire à soi-même : Ce jour, j’ai adouci la rigueur des impôts ; ce jour, je les ai soustraits au caprice de l’autorité ; ce jour, en les distribuant plus également je pourrai convertir un faste inutile au bonheur, dans une aisance générale ; ce jour, j’ai tranquillisé vingt mille familles alarmées sur leurs propriétés ; j’ai ouvert un accès au travail, & un asyle à la misere ; ce jour, j’ai prêté l’oreille aux gémissemens fugitifs & aux plaintes impuissantes des habitans de la campagne ; j’ai défendu leurs droits contre les prétentions impérieuses du crédit & de l’opulence. Oh quel superbe entretien, quelle magnifique confidence de l’homme au créateur du monde. Qu’un pareil administrateur paroît grand alors.

L’esprit de méditation s’entend fort loin, sans doute ; ses bornes ne sont pas connues; mais il s’avance pas à pas ; c’est de chaînons en chaînons qu’il atteint à la vérité. Le génie d’administration ne marche point ainsi. Il faut qu’il embrasse à la fois tous les objets de son attention ; il faut qu’il découvre d’un seul regard, le but & les moyens, les rapports & les contrariétés, les ressources & les obstacles. Il faut, pour ainsi dire, que l’univers se déploie devant lui. Il est quelques principes qui s’enchaînent, mais ils fléchissent à l’application ; les circonstances, le tems : tout les modifie ; c’est le coup-d’œil donné par la nature qui en fixe la mesure, & pour ce coup-d’œil il n’est point de leçons, il n’est point de loix écrites ; elles naissent & meurent dans l’ame des grands-hommes.

Un administrateur des finances, doué des heureuses qualités dont nous venons de parler, soumet à son intelligence tous les objets de son attention. Mais la puissance de l’homme, bornée par la nature, le met dans la nécessité d’avoir recours à ses semblables pour l’exécution de ses desseins.

Si les hommes sont les instrumens de sa pensée, il doit les connoître & les discerner. Confondus par des formes semblables, ils trompent facilement la médiocrité qui les prend & les emploie au hasard, ou qui ne les distingue que par des masses frappante, & les instructions tardives de l’expérience. Mais chaque jour est précieux à l’homme chargé du bonheur des peuples. Il ne lui est pas permis de n’être éclairé que par ses fautes. Il faut donc qu’il ait ce tact aussi fin que rapide : ce talent de connoître les hommes, & de les distinguer par des nuances fugitives plus subtiles que l’expression. Cet art de surprendre leur caractere lorsqu’ils parlent & qu’ils écoutent ; cette promptitude à les saisir jusques dans leur hypocrisie & dans leur dissimulation, & lorsqu’ils cherchent à lui plaire, & lorsqu’ils veulent le tromper. Habile sur-tout à distinguer ce qu’ils sont de ce qu’ils croient être, un administrateur éclairer fait les juger & les mettre à leur place. Il n’exige ni ce qu’ils offrent, ni ce qu’ils promettent, mais ce qu’on peut en attendre.

Toutes ces grandes qualités seront encore insuffisantes sans celle qui donne la vie à toutes les autres ; c’est le caractere.

Il faut attendre par le caractere, cette puissance de l’ame, cette force inconnue qui semble unir par une flamme invisible le mouvement à la volonté, &