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DISCOURS

ponts, dans les chemins & dans les ports, sur les voitures & sur les bateaux chargés de marchandises.

La dénomination de ces divers droits se retrouve dans les chartes de Pepin & de Charlemagne, sous les noms de rodaticum, foraticum, pontaticum, portaticum, salutaticum, cespitaticum, mutatucim, pulveraticum.

Mais doit-on présumer que le produit de tous ces droits fût bien considérable, lorsqu’on voit que Charlemagne tirout de son domaine la plus grande partie de ses revenus, en faisant vendre, dit Montesquieu, les œufs de ses basses-cours, & les herbes inutiles de ses jardins[1] ?

Les Normands, & autres nations sorties du Nord, ayant fait des irruptions dans les plus belles provinces de la monarchie, vers la fin du neuvieme siecle, le désordre & la confusion s’introduisirent dans toutes les parties du corps politique, déja affoibli par l’indolence des successeurs de Charlemagne. Les impôts n’eurent plus de bornes. Louis & Carloman en accablerent tellement les provinces de leur domination, qu’ils furent appellés truands, mot formé de trus, qui signifie tribut.

Quoique Carloman eut plusieurs fois battu les Normands, il fut encore obligé de leur donner douze mille marcs d’argent, pour les faire sortir du pays, l’an 882.

Les seigneurs porfiterent du malheur public, pour rendre héréditaires, des terres & des dignités que la volonté du monarque avoit jusques-là conférées. Ils s’appropriernt, dit Daniel les tributs, les amendes & les droits du roi, dont ils n’étoient auparavant que les receveurs.

C’est ainsi que s’introduisit l’empire des constitutions féodales : il s’étendit ensuite au point que chaque seigneur exerçoit dans son fief une autorité illimitée : tout serf devint taillable & corvéable à la volonté du seigneur, & presque tous les habitans subirent le joug de cette servitude.

Réduits à un domaine très-borné, & obligés de lutter perpétuellement contre l’usurpation des grands vassaux, nos rois étoient forcés de faire contribuer les sujets de leurs domaines, aux frais qu’exigeoit le maintien de leur dignité. Les impositions qu’ils établissoient, étoient aussi-tôt adoptées par leur feudataires, & le peuple, livré au despotisme d’une foule de petits tyrans, gémissoit dans une oppression continuelle. On rapporte à ces tems malheureux, l’origine de la taille, des corvées, & d’une foule de droits désastreux, dont le moindre effet fut de rompre toute communication, de ruiner tout commerce.

Chaque province, chaque seigneurie forma en quelque sorte un État particulier, de façon que si elles ne devinrent pas ennemies, du moins furent-elle étrangeres les unes aux autres.

La multiplicité des seigneurs, dit M. Dupin, dans ses Economiques, tome premier, page 87, avoit porté le désordre dans toutes les parties de l’État ; chacun vouloit être indépendant : pour y parvenir, on employoit une violence excessive envers les foibles, pour en tirer des secours personnels & de l’argent. Les chemins étoient impraticables : les marchands étoient pillés : les châtelains rançonnoient tout ce qui étoit sans défense, & faisoient payer des droits arbitraires dans tous les passages & ports de leurs districts. Les habitans de la campagne furent si tourmentés, qu’ils abandonnerent la culture de terres, & on craignit, avec raison, la ruine entiere de la monarchie.

De cette anarchie perpétuée par des guerres intestines, résulterent encore d’autres maux non moins funestes. Les ténebres de l’ignorance couvrirent tout le royaume, & il n’y eut plus de monumens de l’administration publique. On prétend qu’en 1194, l’arriere-garde de l’armée de Philippe-Auguste ayant été battue dans le Blaisois, par l’armée de Richard, roi d’Angleterre, ce prince lui enleva son chartrier, qu’il ne voulut jamais rendre. On suppose que c’est cet accident qui a fait perdre l’important traité qui fut passé entre

  1. Esprit des loix, édition in-12, tome 4.