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moins générale, selon qu’elle convient à un plus I x>u moins grand nombre d’individus. Ainsi l’àbs— I traction métaphysique & l’acte par lequel l’efprit généralise ses idées, ne sont qu’un seul & même, acte, qui., sous l’une & l’autre dénomination, consiste à former, par la réunion des traits semblables que l’on découvre en divers sujets, des idées qui leur conviennent également à tous, & par le nom qu’on donne à ces idées, nous procurer un mot commun qui les désigne tous, sans aucun égard aux traits par lesquels ils sont distingués les uns des autres.

Employant le terme d’homme pour désigner un certain objet déterminé, tous les objets semblables pourront être représentés par ce même terme. Si l’ame porte ensuite son attention sur tout ce qui est renfermé dans l’idée particulière de l’homme qu’elle a sous les yeux, & que par [’abstraction physique, elle s’en forme autant d’idées séparées, à chacune desquelles elle donne un nom, elle trouvera dans ces idées partielles les élémens d’une idée abstraite métaphysique, au moyen desquels elle s’élèvera par degrés aux notions les plus universelles.

Détachant donc de l’idée particulière d’un certain homme ce qu’elle a de propre ou d’accidentel, & ne conservant que ce qu’elle a d’essentiel, ou plutôt de commun à tous les hommes que je connois, mon ame se formera l’idée de l’homme en général. Si je ne fixe mon attention que sur la nutrition, le mouvement, le sentiment, j’acquerrai l’idée plus générale d’animal. Si je me borne à ne considérer dans l’homme & dans les animaux, que cet arrangement des parties physiques, qui rend les corps propres àcroître par une nourriture quelconque, qui s’incorpore en ewx, j’acquerrai l’idée plus générale encore de corps organisé, qui conviendra aux hommes, aux animaux brutes & aux plantes. Laissant là l’idée d’organisation, pour ne considérer que l’étendue & la solidité, mon ame se formera l’idée plus universelle de corps en général. Faisant encore abstraction de l’étendue solide, pour ne m’arrêrer qu’à l’existence seule, l’ame acquerra l’idée la plus générale de toutes, celle de l’être. Par ces exemples de [’abstraction métaphysique, on peut aisémentjXomprendre comment l’ame humaine s’est formés cette immense quantité d’idées abstraites qui’sont presque toujours l’objet de sesméditations & de son étude, & dont les termes qui les désignent composent presque toute la richesse des langues.

C’est au moyen de cette opération que, sans surcharger les langues de tous les mots nécessaires pour égaler le nombre des individus, nous pouvons tous les désigner, & que, sans avoir une idée de chacun d’eux, nous nous les représentons tous ; c’est par elle que saisissantles traits par les/ quels les êtres sc ressemblent, nous les avons rangés sous des classes dont les limites sont marquées ; (JeìàJes genres & iès espèces diverses, qui nous


facilitent si fort l’étude & la connoissance de ce nombre immense de choses que la nature présente à nos regards ; par-là nous établissons entre nos idées des rapports qui nous représentent les rapports des êtres entr’eux, & leur enchaînement ; nous transportons dans nos idées l’ordre qui règne dans la nature ; nous ne courons plus le risque de nous perdre dans la foule inòmbrable des êtres ; ils se présentent à nous chacuri dans son rang & dans l’ordre convenable, pour que nous les distinguions. Sans les classifications, que scroit toute l’histoire naturelle ? Et comment, sans [’abstraction métaphysique, aurions — nous pu ranger nos idées par classes ? Comment aurions-nous distingué sans elle ces traits communs aux êtres de même genre ou de même espèce ? Au lieu que par le secours de [’abstraction, nous pouvons nous représenter distinctement tout le spectacle de la nature, chaque genre, chaque classe, chaque espèce supérieure & inférieure, chaque division Zc four —division ; chaque idée distincte ayant un nom co/inu, que la mémoire retient aisément, nous pouvons sans peine parler avec clarté de diverses choses, dont nous n’aurions jamais pu sans confusion faire le sujet de nos conversations, ni l’objet de nos jugemens. Sans [’abstraction métaphysique, nous ne pouvons juger que des individus que nous connoissons ; mais ayant généralisé nos idées, nous pouvons juger de rous les individus de l’espèce, pourvu que nous ne prononcions à leur égard que sur les idées distinctes que nous en avons acquises.

Quelque avantage cependant que nous tirions de la capacité d’abstraire, quelque supériorité que nous ayons à cet égard sur les brutes, n’oublions pas d’un côté, que cette faculté ne nous est nécessaire qu’à causes des bornes de nos connoissances ; & de l’autre, que l’abus qu’il est si facile d’en faire, est pour nous une source funeste de disputes vaines & d’erreurs dangereuses.

Incapables de voir d’un coup-d’œil & distinctement toutes les faces d’un sujet, toutes les idées partielles renfermées dans l’idée totale, il a fallu, pour en acquérir la connoissance, le décomposer & en séparer chaque idée par [’abstraction physique ; trop bornés pour voir & examiner tous les êtres, tous les faits individuels, nous avons diî nous restreindre à l’étude d’un très-petit nombre, d’après lesquels nous jugeons de tous les autres que nous croyons leur être semblables ; notre mémoire étant trop foible pour rappeller toutes les circonstances particulières, & les modifications propres à chaque individu, & tous les caractères qui les distinguent les uns des autres, nous les retranchons par ^abstraction métaphysique, nous le ? laissons à part comme s’ils n’existoient pas, & nous nous bornons à çe qui nous a paru être essentiel & commun à chacun d’eux. Rien de tel n’est nécessaire, & n’a lieu dans l’intelligence suprême ; sa connoissance infinie comprend tous les individus ; il ne lui est pas plus difficile de penser à tous


Encyclopédie. Logique & métaphysique. Tom. I.