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qu’elle suffit pour nous faire connoître ce qu’elle représente, dès que l’objet vient s’offrir à nous. Celle qui ne produit pas cet effet est obscure. Nous avons une idée claire de la couleur rouge, lorsque, sans hésiter, nous la discernons de toute autre couleur ; mais bien des gens n’ont que des idées obscures des diverses nuances de cette couleur, & les confondent les unes avec les autres, prenant, par exemple, la couleur de cerise pour la couleur de rose. Celui là a une idée claire de la vertu, qui sait distinguer sûrement une action vertueuse d’une autre qui ne l’est pas : mais c’est en avoir une idée obscure, que de prendre des vices à la mode pour des vertus.

La clarté & l’obscurité des idées peuvent avoir divers degrés, suivant que ces idées portent avec elles plus ou moins de marques propres à les discerner de toute autre. L’idée d’une même chose peut être plus claire chez les uns, moins claire chez les autres ; obscure pour ceux-ci, très obscure à ceux-là ; de même elles peuvent être obscures dans un temps, & devenir très-claires dans un autre. Ainsi une idée claire peut être divisée en idée distincte & idée confuse. Distincte, quand nous pouvons détailler ce que nous avons observé dans cette idée, indiquer les marques qui nous les font reconnoître, rendre compte des différences qui distinguent cette idée d’autres à peu près semblables ; mais on doit appeller une idée confuse, lorsqu’étant claire, c’est-à-dire, distinguée de toute autre, on n’est pas en état d’entrer dans le détail de ses parties.

Il en est encore ici comme du sens de la vue. Tout objet vu clairement ne l’est pas toujours distinctement. Quel objet se présente avec plus de clarté que le soleil, & qui pourroit le voir distinctement, à moins que d’affoiblir son éclat ? des exemples diront mieux que les définitions. L’idée de la couleur rouge est une idée claire, car l’on ne confondra jamais le rouge avec une autre couleur ; mais fi l’on demande à quelqu’un à quoi donc il reconnoît la couleur rouge, il ne saura quoi répondre. Cette idée claire est donc confuse pour lui, & je crois qu’on peut dire la même chose de toutes les perceptions simples. Combien de gens qui ont une idée claire de la beauté d’un tableau, qui guidés par un goût juste & sûr, n’hésiteront pas à le distinguer sur dix autres tableaux médiocres. Demandez-leur ce qui les détermine à trouver cette peinture bonne, & ce qui en fait la beauté, ils ne sauront pas rendre raison de leur jugement, parce qu’ils n’ont pas une idée distincte de la beauté. Et voilà une différence sensible entre une idée simplement claire & une idée distincte ; c’est que celui qui n’a qu’une idée claire d’une chose, ne sauroit la communiquer à un autre. Si vous vous adressez à un homme qui n’a qu’une idée claire, mais confuse de la beauté d’un poëme, il vous dira que c’est l’Iliade, l’Enéide, ou il ajoutera quelques synonymes ; c’est un poëme qui est sublime, noble, harmonieux, qui ravit, qui enchante ; des mots tant que vous voudrez ; des idées, n’en attendez pas de lui.

Ce ne sont aussi que les idées distinctes qui sont propres à étendre nos connoissances, & qui par là sont préférables de beaucoup aux idées simplement claires, qui nous séduisent par leur éclat, & nous jettent cependant dans l’erreur ; ce qui mérite que l’on s’y arrête-pour faite voir que, quoique distinctes, elles sont encore susceptibles de perfection. Pour cela, une idée distincte doit être complette ; c’est a-dire, qu’elle doit renfermer les marques propres à faire reconnoître son objet en tout temps & en toutes circonstances. Un fou, dit-on, est un homme qui allie des idées incompatibles ; voilà peut être une idée distincte ; mais fournit-elle des marques pour distinguer en tout temps un fou d’un homme sage ?

Outre cela, les idées distinctes doivent être ce qu’on appelle dans l’école adéquates. On donne ce nom à une idée distincte des marques qui distinguent cette idée ; un exemple viendra au secours de cette définition. On a une idée distincte de la vertu, quand on sait que c’est l’habitude de conformer ses actions libres à la loi naturelle. Cette idée n’est ni complettement distincte, ni adéquate, quand on ne fait que d’une manière confuse ce que c’est que l’habitude de conformer ses actions à une loi, ce que c’est qu’une action libre. Mais elle devient complette & adéquate, quand on se dit qu’une habitude est une facilité d’agir, qui s’acquiert par un fréquent exercice ; que conformer ses actions à une loi, c’est choisir, entre plusieurs manières d’agir également possibles, celle qui suit la loi ; que la loi naturelle est la volonté du législateur suprême qu’il a fait connoître aux hommes par la raison & par la conscience ; qu’enfin les actions libres sont celles qui dépendent du seul acte de notre volonté.

Ainsi l’idée de vertu emporte tout ceci, une facilité acquise par un fréquent exercice, de choisir, entre plusieurs manières d’agir que nous pouvons exécuter par le seul acte de notre volonté, celle qui s’accommode le mieux à ce que la raison & la conscience nous représentent comme conformes à la volonté de Dieu ; & cette idée de la vertu est non-seulement distincte, mais adéquate au premier degré. Pour la tendre plus distincte encore, on pourroit pousser cette analyse plus loin, & en cherchant les idées distinctes de tout ce qui entre dans Vidée de vertu, on seroit surpris combien ce mot embrasse de choses, auxquelles la plupart de ceux qui l’emploient, ne pensent guères. Il convient même de s’arrêter quand on est parvenu a des idées claires, mais confuses, que l’on ne peut plus résoudre ; aller au-delà, ce seroit manquer son but, qui ne peut être que de former un raisonnement pour s’éclairer soi-

Encyclopédie. Logique & métaphysique. Tom. I.S ff