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ces actes. Il en est de même de la volonté. Il suffit, dans ces sortes de cas, d’expliquer les termes, en déterminant par des analyses exactes les notions qu’on se fait des choses. Mais les philosophes ayant été obligés de sc représenter l’ame par des abstractions, ils en ont multiplié l’être, Sc l’entendement & la volonté ont subi le sort de toutes les notions abstraites. Ceux même, tels que les cartésiens, qui ont remarqué expressément que ce ne sont point là des êtres distingués de l’ame, ont agité toutes les questions que je viens de rapporter. Ils ont donc réalisé ces notions abstraites contre leur intention, Sc sans s’en appercevoir. C’est qu’ignorant la manière demies analyser, ils étoient incapables d’en connoître les défauts, Sc par conséquent de s’en servir avec toutes les précautions nécessaires.

§. XI. Ces sortes d’abstractions ont infiniment obscurci tout ce qu’on a écrit sur la liberté : question où bien des plumes ne paraissent s’être exercées, que pour l’obscurcir d’avantage. L’entendement, disent quelques philosophes, est une faculté qui reçoit les idées ; Sc la volonté est une faculté aveugle par elle-même, Sc qui ne se détermine qu’en conséquence des idées que l’entendement lui présente. Il ne dépend pas de l’entendement d’appercevoir ou non les idées & les rapports de vérité oude probabilité qui sont entr’elles. U n’est pas libre, il n’est pas même actif ; car il ne produit point en lui les idées du blanc Sc du noir, & il voit nécessairement que l’une n’est pas l’autre. La volonté agit, il est vrai : mais aveugle, par ell : -même, elle fuit le dictamen de l’entendement ; c’est-à-dire, qu’elle se détermine conséquemment à ce que lui prescrit une cause nécessaire. Elle est donc aussi nécessaire. Or si l’homme étoit libre, ee scroit par l’une ou l’autre de ces facultés. L’homme n’est donc pas libre ?

Pour réfuter tout ce raisonnement, il suffit de remarquer que ces philosophes sc font, de l’entendement Sc de la volonté, des fantômes qui ne sont que dans leur imagination. Si ces facultés étoient telles qu’ils se les représentent, sans doute que la liberté n’auroit jamais lieu. Je les invite à rentrer en eux-mêmes, Sc je leur réponds que, pourvu qu’ils veuillent renoncer à ces réalités abstraites, & analyser leurs pensées, ils verront’les choses d’une manière bien différente. Il n’est point vrai, par exemple, que l’entendement ne soit ni libre, ni actif ; les analyses que nous en avons données, démontrent le contraire. Mais il faut convenir que cette difficulté est grande, si même elle n’est insoluble dans l’hypothèsc des idées innées.

§. XII. Je ne sais si, après ce que je viens de dire, on pourra enfin abandonner toutes ces


abstractions réalisées : plusieurs raisons mè font ? appréhender le contraire. Il faut se souvenir que nous avons dit (i) que les noms des substances tiennent dans notre esprit la place que les sujets occupent hors de nous : ils y sont le lieu & le soutien des idées simples, comme les sujets le font au-dehors des qualités. Voilà pourquoi nous sommes toujours tentés de les rapporter à ce sujet, Sc de nous imaginer qu’ils en expriment la réalité même.

En second lieu, j’ai remarqué ailleurs (z) que nous pouvons connoître toutes les idées simples dont les notions archétypes se sont formées. Or l’essence d’une chose étant, selon les philosophes, ce qui la constitue ce qu’elle est, c’est une conséquence que nous puissions, dans ces occasions, avdir des idées des essences : aussi leur avonsnous donné des noms. Par exemple, celui de justice signifie l’essence du juste, celui de sagesse, l’essence du sage, 8cc. C’est peut-être là une des raisons qui a fait croire aux scholastiques que pour avoir-des noms qui exprimassent les essences des substances, ils n’avoient qu’à suivre l’analogie du langage. Ainsi ils ont fait les mots decorporéité, d’animalité, Sc d’humanité, pour désigner les essences du corps, de [’animal Sc de l’homme. Ces termes Jeur étant devenus familiers, il est bien difficile de leur persuader qu’ils sont vuides de sens.

En troisième lieu, il n’y a que deux moyens de se servir des mots ; s’en servir après avoir fixé, dans son esprit toutes lesidées simples qu’ils doivent signifier, ou seulement après les avoir supposés signes de la réalité même des choses. Le premier moyen est, pour l’ordinaire, embarassànt j parce que l’usage n’est pas toujours assez décidé. Les hommes voyant les choses différemment, selon l’expérience qu’ils ont acquise, il’est difficile qu’ils s’accordent sur le nombre & sur la qualité des idées de bien des noms. D’ailleurs, lorsque cet accord se rencontre, il n’est pas toujours aisé de saisir, dans fa juste étendue, le sens d’un terme : pour cela il faudrait du temps, de l’expé-, rience, Sc de la réflexion. Mais il est bien plus commode de supposer dans les choses une réalité dont on regarde les mots comme les véritables, signes ; d’entendre^ par ces noms, homme, animal y Sec. une entité qui détermine & distingue ces choses, que de faire attention à toutes les idées simples qui peuvent leur appartenir. Cette voie satis-, fait tout-à-la-fois notre impatience & notre curiosité. Peut-être y a-t-il peu de personnes, même parmi celles qui ont le plus travaillé à se défaire de leurs préjugés, qui ne sentent quelque penchant à rapporter tous les noms des substances à des réalités inconnues. Cela paraît même dans des cas où iTest facile d’éviter l’erreur, parce que nous savons bien

(i) Section 4. pag. 182. (2) Section 3, pag, 168.