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F.


FORTUIT, (Métaphys.) Tout étant lié dans la nature, les événemens dépendent les uns des autres ; la chaîne qui les unit est souvent imperceptible, mais n’en est pas moins réelle. Supposez un événement de plus ou de moins dans le monde, ou même un seul changement dans les circonstances d’un événement, tous les autres se ressentiront de cette altération légère , comme une montre toute entière se ressent de la plus petite altération essuyée par une des roues. Mais, dit-on, il y a des événemens qui ont des effets, 8c d’autres qui n’en ont point, 8c ces derniers au moins n’influent point dans le fystême général du monde. Je réponds : 1°. qu’on peut

douters’ily a aucun événement fans effet : i°. que

quand même il y aurait des événemens fans effet, fi cesévénemens n’eussent pas existé , ce qui leur a donné naissance n’eût pas existé non plus ; la causequi les a produits n’eût donc pas été exactement telle qu’elle est , ni par conséquent la cause de cette cause, ôc ainsi en remontant. II y a dans un arbre des branches extrêmes qui n’en produisent point d’autres ; mais supposez une feuille de moins à Tune des branches, vous ôtez à la branche ce qu’elle avoit pour produire cette feuille ; yous changez donc à certains égards cette branche , 8c par conséquent ceile qui Ta produite, 8c ainsi de suite jusqu’au tronc ôc aux racines. Cet arbre est Timage du monde.

On demande si la chaîne des événemens est contraire à la liberté. Voici quelques réflexions fur cet important sujet.

Soit que les loix du mouvement instituées par le créateur, aient leur source dans la nature même de la matière, soit que l’être suprême les ait librement établies, il est constant que notre corps est assujetti à ces loix, qu’il en résulte dans notre machine depuis le premier instant de son existence une suite de mouvemens dépendans les uns des autres , dont nous ne sommes nullement les maîtres, 8c auxquels notre ame obéit par les loix de son union avec le corps. D’un autre côté, étant prévu pat Tintelligence divine ,

& existant de toute éternité dans ses décrets , tout ce qui arrive doit infailliblement atriver ;

la liberté de Thomme paroît inconciliable avec ces vérités. Nous sentons néanmoins que nous sommes libres ; Texpérience 8c une opération facile de notre esprit suffisent pour nous en convaincre. Accoutumés à faire à plusieurs reprises, souvent même dans des occasions semblable ? enapparence, des actions directement opposées, Encyclopédie. Logique & métaphysique. Tarn. I. nous séparons par abstraction le pouvoir d’agir d’avec Faction même ; nous regardons ce*pouvoir comme subsistant, même après que Faction est faite, ou pendant que nous faisons faction contraire ; 8c ce pouvoir oisif, quoique réel, est ce que nous appelions liberté. En vain la toute-puissance du créateur, en vain la sagessede ses vues éternelles qui assujettit ôc qui règle tout, nous paraissent incompatibles avec cette liberté de Thomme, le sentiment intérieur, ôc, fi on

peut parler ainsi , Tinstinct contraire doit Fémporter. II en est ici comme de Texistence des corps , à laquelle nous sommes forcés de revenir, par quelque sophisme qu’on Fattaque. Nous sommes libres, parce que dans la supposition que nous le fussions réellement,

nous ne pourrions

pas en avoir une conscience plus vive que celle que nous en avons. D’ailleurs cette conscience est la seule preuve que nous puissions avoir de notre liberté ; car la liberté n’est autre chose qu’un pouvoir qui ne s’exerce pas actuellement, ôc ce pouvoir ne peut être connu que par la conscience, 8c non par Texercice actuel, puisqu’il est impossible d’exécuter en même temps deux actions opposées. Supposons mille mondes existans à la fois, tous semblables à celui-ci, ôc gouvernés par conséquent par les mêmes loix ; tout s’y passerait absolument de même. Les hommes, en vertu de ces loix, feroient aux mêmes instans les mêmes actions dans chacun de ces mondes : ôc une intelligence différente du créateur qui verroit à la fois tous ces mondes si semblables, en prendroit les habitans pour des automates , quoiqu’ils n’en fussent pas, ôc que chacun d’eux au-dedans de lui-même fût assurédu contraire. Le sentiment intérieur est donc la seule preuve que nous ayons 8c que nous puissions avoir d’être libres. Cette preuve nous suffit, ÔCparoît bien supérieure à toute autre : car de dire avec quelques philosophes, que les loix font fondées fur la li«  berté , qu’il seroit injuste de punir les crimes s’ils étoient nécessaires, c’est établir une vérité bien claire par une preuve bien foible. Les hommes fussent-ils de pures machines, il suffiroit que la crainte fût un des mobiles principaux de ces machines , pour que cette crainte fût un moyen efficace d’empêcher un grand nombre de crimes II ’

ne serait alors ni juste ni injuste de les punir, parce que, fans liberté, il n’y a ni justice ni injustice ; mais il seroit toujours nécessaire d’arrêter la méchanceté des hommes par des châtimens, comme on oppose à un torrent funeste des digues puissantes quile forcent à chan-Q-qq