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d’y penser ; & qu’au contraire’on ne faît avec la plus même facilité ce qu’on a cessé de faire pendant quelque temps. Pour contracter une habitude, il suffit donc de faire & de refaire à plusieurs reprises ; & pour la perdre, il suffit de ne plus faire.

Ce sont les actions de l’ame qui déterminent celles du corps ; & d’après celles-ci qu’on voit, on juge de celles-là qu’on ne voit pas. Il suffit d’avoir remarqué ce qu’on fait, lorsqu’on désire ou qu’on craint, pour appercevoir dans les mouvemens des autres leurs désirs ou leurs craintes. C’est ainsi que les actions du corps représentent les actions de l’ame, & dévoilent quelquefois jusqu’aux plus scerettes pensées. Ce langage est celui de la nature : il est le premier, le plus expressif, le plus vrai ; & nous verrons que c’est d’après ce modèle que nous avons appris à faire des langues.

Les idées morales paraissent échapper aux sens : elles échappent du moins à ceux de ces philosophes qui nient que nos connoissances viennent des sensations. Ils demanderaient volontiers de quelle couleur est la vertu, de quelle couleur est le vice. Je réponds que la vertu consiste dans l’habitude des bonnes actions, comme le vice consiste dans l’habitude des mauvaises. Or ces habitudes & ces actions sont visibles.

Mais la moralité des actions est-elle une chose qui tombe sous les sens ? Pourquoi donc n’y tomberoit-elle pas ? Cette moralité consiste uniquement dans la conformité de nos actions avec les loix : or, ces actions sont visibles, & les loix le sont également, puisqu’elles sont des conventions que les hommes ont faites.

Si les loix, dira-t-on, sont des conventions, elles sont donc arbitraires. Il peut y en avoir d’arbitraires ; il n’y en a même que trop : mais celles qui déterminent si nos actions sont bonnes ou mauvaises, ne le font pas, & ne peuvent pas l’être. Elles sont notre ouvrage, parce que ce sont des conventions que nous avons faites : cependant nous ne les avons pas faites seuls ; la nature les faisoit avec nous, elle nous les dictoit, & il n’étoit pas en notre pouvoir d’en faire d’autres. Les besoins & les facultés de l’homme étant donnés, les loix sont données elles-mêmes ; & quoique nous les fassions, Dieu, qui nous a créés ; avec tels besoins & telles facultés, est, dans le vrai, notre seul législateur. En suivant ces loix conformes à sa volonté & à notre nature, c’est donc à lui que nous obéissons ; & voilà ce qui achevé la moralité des actions.

Si, de ce que l’homme est libre, on juge qu’il y a souvent de l’arbitraire dans ce qu’il fait, la conséquence sera juste ; mais si l’on juge qu’il n’y a jamais que de l’arbitraire, on se trompera. Comme il ne dépend pas de nous de ne pas avoir les besoins qui sont une suite de notre conformation, il ne dépend pas de nous de n’être


pas portés à faire ce à quoi nous sommes déterminés par ces besoins ; & si nous ne le faisons pas, nous en sommes punis.


Analyse des facultés de l’ame.


Nous avons vu comment la nature nous apprend à faire l’analyse des objets sensibles, & nous donne, par cette voie, des idées de toutes espèces. Nous ne pouvons donc pas douter que toutes nos connoissances ne viennent des sens.

Mais il s’agit d’étendre la sphère de nos connoissances. Or, si pour l’étendre, nous avons besoin de savoir conduire notre esprit, on conçoit que, pour apprendre à le conduire, il le faut connoître parfaitement. Il s’agit donc dé démêler tomes les facultés qui sont enveloppées dans la faculté de penser. Pour remplir cet objet & d’autres encore, quels qu’ils puissent être, nous n’aurons pas à chercher, comme on a fait jusqu’à présent, une nouvelle méthode à chaque étude nouvelle : l’analyse doit suffire à toutes, si nous savons l’employer.

C’est l’ame seule qui connoît, parce que c’est l’ame seule qui sent ; & il n’appartient qu’à elle de faire l’analyse de tout ce qui lui est connu par sensation. Cependant comment apprendra-t-elle à se conduire, si elle ne se connoît pas elle-même, si elle ignore ses facultés ? Il faut donc comme nous venons de le remarquer, qu’elle s’étudie, il faut que nous découvrions toutes les facultés dont elle est capable. Mais où les découvrirons-nous, sinon dans la faculté de sentir ? Certainement cette faculté enveloppe toutes celles qui peuvent venir à notre connoissance. Si ce n’est que parce que l’ame sent, que nous connoissons les objets qui sont hors d’elle, connoîtrons-nous ce qui se passe en elle, autrement que parce qu’elle sent ? Tout nous invite donc à faire l’analyse de la faculté de sentir : essayons.

Une réflexion rendra cette analyse bien facile ; c’est que, pour décomposer la faculté de sentir, il suffit d’observer successivement tout ce qui s’y passe, lorsque nous acquérons une connoissance quelconque. Je dis une connoissance quelconque, parce que ce qui s’y passe pour en acquérir plusieurs, ne peut être qu’une répétition de ce qui s’est passé pour en acquérir une seule.

Lorsqu’une campagne s’offre à ma vue, je vois tout d’un premier coup-d’œil, si je ne discerne rien encore. Pour démêler différens objets & me faire une idée distincte de leur forme & de leur situation, il faut que j’arrête mes regards sur chacun d’eux : c’est ce que nous avons déjà observé. Mais quand j’en regarde un, les autres, quoique je les voie encore, sont cependant, par rapport à moi, comme si je ne les voyois plus ; & parmi tant de sensations qui se font à-la-fois, il semble que je n’en éprouve qu’une, celle de l’objet sur lequel je fixe mes regards.

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Ce regard est une action par laquelle mon œil tend à l’objet sur lequel il se dirige : par cette raison je lui donne le nom d’attention ; & il m’est évident que cette direction de l’organe est toute la part que le corps peut avoir à l’attention. Quelle est donc la part de l’ame ? Une sensation que nous éprouvons comme si elle étoit seule, parce que toutes les autres sont comme si nous ne les éprouvions pas.

L’attention que nous donnons à un objet, n’est donc, de la part de l’ame, que la sensation que cet objet fait sur nous ; sensation qui devient en quelque sorte exclusive ; & cette faculté est la première que nous remarquons dans la faculté de sentir.

Comme nous donnons notre attention à un objet, nous pouvons la donner à deux à-la-fois. Alors, au lieu d’une seule sensation exclusive, nous en éprouvons deux ; & nous disons que nous les comparons, parce que nous ne les éprouvons exclusivement que pour les observer l’une à côté de l’autre, sans être distraits par d’autres sensations : or, c’est proprement ce que signifie le mot comparer.

La comparaison n’est donc qu’une double attention : elle consiste dans deux sensations qu’on éprouve comme si on les éprouvoit seules, & qui excluent toutes les autres.

Un objet est présent ou absent. S’il est pré sent, l’attention est la sensation qu’il fait actuellement fur nous ; s’il est absent, l’attention est le souvenir de la sensation qu’il a faite. C’est à ce souvenir que nous devons le pouvoir d’exercer la faculté de comparer des objets absens comme des objets présens. Nous traiterons bientôt de la mémoire.

Nous ne pouvons comparer deux objets, ou éprouver, comme l’une à côté de l’autre, les deux sensations qu’ils font exclusivement sur nous, qu’aussitôt nous n’appercevions qu’ils se ressemblent ou qu’ils diffèrent. Or, appercevoir des ressemblances ou des différences, c’est juger : le jugement n’est donc encore que sensation.

Si, par un premier jugement, je connois un rapport, pour en connoître un autre, j’ai besoin d’un second jugement. Que je veuille, par exemple, savoir en quoi deux arbres différent, j’en observerai successivement la forme, la tige, les branches, les feuilles, les fruits, &c. je comparerai successivement toutes ces choses ; je ferai une suite de jugemens ; & parce qu’alors mon attention réfléchit en quelque forte, d’un objet sur un objet, je dirai que je réfléchis. La réflexion n’est donc qu’une suite de jugemens qui se font par une suite de comparaisons ; & puisque, dans les comparaisons & dans les jugemens, il n’y a que des sensations, il n’y a donc aussi que des sensations dans la réflexion.

Lorsque, par la réflexion, on a remarqué les qualités par où les objets diffèrent, on peut,


par la même réflexion, rassembler dans an seul les qualités qui sont séparées dans plusieurs. C’est ainsi qu’un poëte se fait, par exemple, l’idée d’un héros qui n’a jamais existé. Alors les idées qu’on se fait sont des images qui n’ont de réalité que dans l’esprit ; & la réflexion qui fait ces images prend le nom d’imagination.

Un Jugement que je prononce peut en renfermer implicitement un autre que je ne prononce pas. Si je dis qu’un corps est pesant, je dis implicitement que si on ne le soutient pas, il tombera. Or, lorsqu’un second jugement est ainsi renfermé dans un autre, on le peut prononcer comme une suite du premier, & par cette raison on dit qu’il en est la conséquence. On dira, par exemple : Cette voûte est bien pesante, donc si elle n’est pas assez soutenue, elle tombera. Voilà ce qu’on entend par faire un raisonnement ; ce n’est autre chose que prononcer deux jugemens de cette espèce. Il n’y a donc que des sensations dans nos raisonnemens comme dans nos jugemens.

Le second jugement du raisonnement que nous venons de faire, est sensiblement renfermé dans le premier, & c’est une conséquence qu’on n’a pas besoin de chercher. Il faudroit au contraire chercher si le second jugement ne se montroit pas dans le premier d’une manière aussi sensible ; c’est-à-dire, qu’il faudroit, en allant du connu à l’inconnu, passer par une suite de jugemens intermédiaires, du premier jusqu’au dernier, & les voir tous successivement renfermés les uns dans les autres. Ce jugement, par exemple : Le mercure se soutient à une certaine hauteur dans le tube d’un baromètre, est renfermé implicitement, dans celui ci, l’air est pesant. Mais parce qu’on ne le voit pas tout-à-coup, il faut, en allant du connu à l’inconnu, découvrir, par une suite de jugemens intermédiaires, que le premier est une conséquence du second. Nous avons déjà fait de pareils raisonnemens ; nous en ferons encore ; & quand nous aurons contracté l’habitude d’en faire, il ne nous sera pas difficile d’en démêler tout l’artifice. On explique toujours les choses qu’on fait faire : commençons donc par raisonner.

Vous voyez que toutes les facultés que nous venons d’observer, sont renfermées dans la faculté de sentir. L’ame acquiert par elle toutes ses connoissances : par elle elle entend les choses qu’elle étudie, en quelque forte, comme par l’oreille elle entend les sons : c’est pourquoi la réunion de toutes ces facultés se nomme entendement : l’entendement comprend donc l’attention, la comparaison, le jugement, la réflexion, l’imagination & le raisonnement. On ne sauroit s’en faire une idée plus exacte.


Continuation du même sujet.


En considérant nos sensations comme repré-