Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/154

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séparés des principes d’où ils sont déduits, & auxquels ils servent de développemens, de preuves & d’éclaircissemens, nous le laisserons exposer lui-même ses pensées dans l’ordre où elles se sont offertes à son esprit, sans nous interposer, par quelques réflexions incidentes, entre le lecteur et lui. On va voir que les objections les plus spécieuses des partisans de la liberté (objections que Collins n’a ni dissimulées ni affoiblies) ne sont que des sophismes plus ou moins subtils. Clarke lui-même qui, pour avoir employé plus d’art dans la contexture de ses paralogismes, s’est acquis parmi les chrétiens la réputation d’un grand raisonneur, mais dans lequel un dialecticien exact & sévère ne voit qu’un sophiste plus habile & plus hardi, n’a fait que balbutier sur la question de la liberté & sur celle de l’existence de Dieu, parce qu’on n’éclaircit rien par la théologie, ce que Clarke, qui connoissoit bien tous les lieux communs & ce qu’on appelle la topique de cette science vaine & contentieuse, ne savoit manier avec quelque adresse que cette espèce d’arme, dont on fait d’autant plus d’usage qu’on en fait moins de sa raison & de son jugement.

C’est à des penseurs profonds, tels que Hobbes, Bayle, &c. qu’il convient de traiter la question de la liberté ; c’est par leurs principes, les seuls qu’un bon esprit puisse admettre, qu’on la résout complettement, ainsi que beaucoup d’autres qui y sont liées, & c’est un des plus précieux avantages de leur philosophie. Mais pour avoir été précédé par ces deux grandes lumières, Collins n’en a pas moins la gloire de s’être ouvert de nouvelles routes dans la même carrière, & il auroit pu mettre pour épigraphe, à la tête de sa dissertation, le mot célèbre du Corrège : ed’anche io son pittore.

Il existe deux traductions également estimées de cette dissertation ; j’ai préféré celle qui parut en 1756, parce qu’elle est enrichie de notes très-propres à confirmer les idées de l’auteur. Je sais que les autorités n’ont de force qu’autant que celui qui les allègue a mis préalablement la raison de son côté ; c’est même le seul cas où elles signifient quelque chose, & où il soit permis d’y avoir recours. Mais d’une autre part, comme selon l’observation judicieuse d’un homme de lettres, il y a très-peu de gens qui soient de leur avis, les autorités qui viennent à l’appui de principes déjà démontrés ; peuvent déterminer l’assentiment de ces hommes foibles & sans caractère, qui, jettés par hazard sur la route de la vérité, ou parvenus par leurs propres recherches à la découvrir, y marchent néanmoins avec crainte & d’un pas chancelant jusqu’à ce qu’ils voient quelqu’un prendre le même chemin, à-peu-près comme ces enfans timides & pusillanimes que la nuit surprend au milieu des rues, & qui ont besoin pour se rassurer d’y rencontrer beaucoup de monde. Mais il est tems d’entendre Collins.

Nous vivons, dit-il, dans un siècle où un auteur ne sauroit prendre trop de précautions pour prévenir les fausses interprétations & les commentaires malins, auxquels ses raisonnemens & ses expressions peuvent donner lieu. Ce soin me paroît sur-tout indispensable à la tête d’un ouvrage où l’on traite de la liberté & de la nécessité. Quoique je dusse naturellement m’attendre à être lu avant que d’être jugé[1] dans une matière aussi importante & aussi délicate, j’ai cru qu’il seroit à propos d’offrir ici à mes lecteurs quelques observations préliminaires.

Je déclare donc, en premier lieu, qu’en niant la liberté au sens qu’on attache ordinairement à ce mot, je me fais en même tems un devoir de la reconnoître & de la maintenir au sens où elle signifie le pouvoir qu’a l’homme de faire ce qu’il veut ou ce qu’il lui plaît. Cette définition de la liberté est conforme aux idées qu’en ont eues Aristote, Cicéron, M. Locke, & plusieurs autres philosophes anciens & modernes. Je puis dire que j’ai pesé avec la plus scrupuleuse exactitude les sentimens des plus célèbres auteurs qui aient écrit sur cette matière, & les raisons sur lesquelles ils les ont appuyés : je suis demeuré convaincu, après cet examen, que quelque opposées que semblent être entr’elles les opinions de ces divers écrivains sur la liberté, & quoiqu’en apparence les définitions qu’ils en donnent semblent être contraires à la mienne, au fonds toutes ces idées sont absolument les mêmes, & qu’en les approfondissant un peu, il est aisé de voir qu’elles ne diffèrent que dans les termes.

J’avertis en second lieu, qu’en soutenant la nécessité, j’entends uniquement la nécessité morale, & que tout ce que je prétends prouver par-là, c’est que l’homme étant en même tems un être intelligent & sensible, est déterminé dans ses actions par ses sens & par sa raison. Je suis fort éloigné de penser que la nécessité qui fait agir l’homme foit précisément la même que celle qui fait agir[2] une pendule & d’autres êtres semblables, qui, faute d’intelligence & de sentiment, sont assujettis à une nécessité absolue, physique ou méchanique. J’ose assurer avec confiance que ma définition s’accorde en cela avec celles des plus grands

  1. Qui œquum flatuerit parte inaudita alter, etiamsi œquum flatuerit, non œquus fuerit.
  2. Il est donc clair que notre auteur n’a ici rien à démêler avec le docteur Clarke qui soutient [dans son traité de l’existence & des attributs de Dieu, tom. 1 c. 2] contre Spinoza, Hobbes, & leur sectateurs, que l’homme n’est point un être dont les actions soient aussi nécessaires que les mouvemens d’une pendule. p. 1, 6 & suivantes.