Dans une autre lettre du 1 octobre 1704, il lui dit :« Mes infirmités augmentent si fort, qu’à moins que vous ne vous hâtiez de vous rendre ici, je pourrai bien être privé pour jamais de la satisfaction de voir un homme que je mets dans le premier rang de ceux que je laisse après moi ». Locke donne, dans d’autres lettres, les mêmes témoignages d’estime & d’amitié à Collins.
Quoique ce philosophe eut avancé dans ses écrits bien des choses hardies & peu conformes aux idées, ou plutôt aux préjugés reçus, il s’étoit acquis l’estime générale par sa pénétration & la justesse de son esprit, mais sur-tout par son attachement à ses devoirs & sa probité.
Il a long-tems exercé avec honneur, la charge de magistrat dans la province d’Essex, & on y étoit si persuadé de sa bonne foi & de son désintéressement, qu’on lui confia l’administration des deniers de cette province, que les trésoriers ses prédécesseurs avoient souvent divertis. Il mourut à Londres, le 13 décembre 1729, & fut universellement regretté ; ceux même qui, pendant sa vie l’avoient calomnié sans pudeur, lui rendirent justice dès qu’il ne fut plus. Virtus post fata quiescit (Sa mort fut pour les gens de lettres une perte très-difficile à réparer : sa bibliothèque leur étoit toujours ouverte ; il se faisoit un plaisir de leur communiquer ses lumières, & de leur offrir les moyens de se rendre utiles au public & cela sans acception de personne. Il prêtoit des livres à ceux qui travailloient à le réfuter, & leur indiquoit même la manière de le combatre avec plus de force & de succès. La corruption qui règne parmi les chrétiens de toutes les communions, & l’esprit persécuteur du clergé dans tous les pays où le christianisme s’est établi, avoient prévenu fortement Collins contre cette religion, & l’avoient enfin porté à croire, avec beaucoup d’autres philosophes, que, telle qu’on l’enseigne aujourd’hui parmi les catholiques & les protestans, elle est pernicieuse au genre-humain, & sollicite impérieusement une réforme générale, soit dans le nombre, soit dans la nature de ses dogmes, si évidemment contraires à la raison. Comme il avoit un grand fond d’humanité, de douceur & de modération, il voyoit avec douleur que ces vertus étoient bannies de la société, & qu’on se servoit de la religion comme d’un manteau pour couvrir toutes les sortes de violences & d’injustices. Il étoit civil, affable & d’une humeur gaie, mais trop attaché à la méditation & à la lecture. Libre de toute ambition, il se répandoit peu, & n’avoit pas pu prendre ces manières aisées & ces formes agréables qu’on n’acquiert que par un grand usage du monde, mais qui font trop souvent tout le mérite de ceux qui composent ce qu’on appelle la bonne compagnie.
La santé de Collins avoit commencé à s’affoiblir plusieurs années avant sa mort, et il étoit extrêmement tourmenté de la gravelle, qui termina enfin sa vie dans sa maison de la place de Harley. Il fut enterré dans la chapelle qui porte le titre d’Oxford, où on lui érigea un monument avec une épitaphe latine, qui en faisant l’éloge de son cœur & de son esprit avec cette simplicité plus persuasive que l’enthousiasme, est très-propre à faire respecter sa mémoire.
Quoique tout ce que Collins a écrit contre la révélation puisse offrir un champ très-vaste aux réflexions de ceux dont l’opinion sur ces matières n’est pas encore arrêtée & qui dorment à midi, pour me servir de l’expression symbolique de Pythagore, nous n’en parlerons point dans cet article. Nous supposerons que tous les lecteurs qui ont quelque instruction savent désormais à quoi s’en tenir sur ces questions tant de fois agitées, & qui, pour l’observer ici en passant, ne méritoient sous aucun rapport le tems qu’elles ont fait perdre. Nous regretterons même que Collins, qui pouvoit faire un meilleur emploi des forces de son esprit, ait daigné s’occuper si long-tems de ces discussions dont les différens objets sont si futiles, & qu’il ne les ait pas abandonnées d’abord à l’ergoterie des théologiens : il se seroit montré plus philosophe ; avec moins d’efforts il auroit pénétré plus avant dans la route des sciences purement rationelles ; & sur-tout il auroit vécu plus tranquille, considération qui n’est pas à négliger dans ce court passage qu’on appelle la vie.
Nous passerons donc sous silence toutes les disputes de Collins avec Wiston, Bentley, & d’autres théologiens aussi superstitieux. Peu de gens s’intéressent aujourd’hui à ces querelles, dont l’objet a tellement perdu de son importance aux yeux de la saine raison, que si notre auteur ne s’étoit distingué dans la république des lettres que par les coups multipliés & plus ou moins redoutables qu’il a portés à la religion, son nom, bientôt ignoré, ne se retrouveroit plus que parmi les débris épars & méprisés de l’édifice qu’il a renversé. Mais les réflexions philosophiques de Collins sur la liberté des actions humaines & sa dispute avec Clarke sur l’immatérialité & l’immortalité naturelles de l’ame, lui ont acquis de justes droits à la célébrité ; c’est, comme je l’ai observé ci-dessus, par ces deux ouvrages qu’il a mérité le titre de philosophe ; c’est par eux que nous allons le faire connoître et qu’on pourra le juger.
Les raisonnemens de Collins, liés entre eux comme les divers anneaux d’une chaîne, sont serrés & précis. Dans la crainte d’en diminuer l’évidence ou la force en les présentant isolés &