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qu’un choix fait par le caprice. Car enfin, quoiqu’un choix fait par le caprice, ou sans délibération soit d’une espèce, & un choix fait après une mûre délibération soit d’une autre toute différente, cela n’empêche pas que ces deux choix, fondés sur ce qui a été jugé meilleur, ne soient également nécessaires l’un pour une raison & l’autre pour une autre ; les bonnes ou les mauvaises raisons, le jugement réfléchi ou précipité, l’examen ou le caprice n’y mettent aucune différence essentielle.

On en peut dire autant de la définition que nous donne de la liberté, l’évêque Bramhall[1] dont nous avons plusieurs ouvrages sur cette matière, & dont les principes à cet égard, s’accordent avec ceux d’Aristote : L’acte, dit-il, dans lequel réside véritablement la liberté de l’homme est l’élection ou le choix qu’il fait de l’un de plusieurs expédiens que lui présente son esprit, soit en préférant ou bien en rejettant l’un ou l’autre, soit en adoptant l’un avant l’autre. Pour se convaincre que l’auteur en définissant ainsi la liberté, la fait uniquement consister dans le choix (exclusif) de celui de ces expédiens qui paroît à l’homme le meilleur, & non dans le pouvoir de choisir indistinctement celui qui lui paroît le pire ou bien celui qui lui semble le plus avantageux ; il suffit de jetter les yeux sur différens passages de ses écrits, tels que ceux qu’on va lire.

Il avance dans un endroit, « que les actions que nous faisons dans les accès d’une passion violente, ne sont point libres, parce qu’elles ne sont alors le résultat ni du choix ni de la délibération… Prétendre que la volonté de l’homme est déterminée par des motifs, c’est-à-dire, par la raison & par la réflexion, c’est précisément la même chose que si on soutenoit que l’homme est un agent libre ou déterminé par lui-même. En effet ces motifs-là ne le déterminent point physiquement, mais moralement : or cette espèce de détermination n’exclut point la vraie liberté. Dire que notre volonté se laisse nécessairement entraîner vers le côté où la raison fait pencher la balance, ce n’est point détruire la liberté des volitions de l’homme, mais établir seulement une espèce de nécessité hypothétique. »

Toutes ces expressions ne prouvent-elles pas clairement que Bramhall fait consister la liberté dans la faculté de choisir ou de rejetter nécessairement une chose après la délibération : par conséquent que cette faculté de choisir ou de rejetter est moralement & hypothétiquement nécessaire ou déterminée en conséquence de cet examen préalable.

Enfin un grand théologien de la secte Arminienne, qui a donné au public un cours de philosophie, & qui a eu occasion d’entrer dans des discussions fréquentes au sujet de la liberté, prétend qu’elle est « simplement l’état d’indifférence où se trouve notre esprit, tandis qu’il délibère sur quelque chose ; en effet, (ajoute-t-il) pendant le tems que notre esprit délibère, il est libre jusqu’au moment de l’action, puisque, durant cet intervalle, rien ne le détermine à agir ou à ne pas agir. »[2] Mais qu’on me dise un peu si, lorsque notre esprit délibère sur une chose, c’est-à-dire, lorsqu’il balance & compare ensemble divers motifs ou différentes idées, il est déterminé moins nécessairement à cet état d’indifférence ou de balancement par les apparences de ces idées & de ces motifs, qu’il ne l’est au moment même de l’action. Si un homme étoit réellement libre dans cet état d’indifférence, il faudroit qu’il fût en son pouvoir de n’être point indifférent dans le tems même où il l’est.

En supposant donc, pour un instant, que l’expérience serve à prouver la liberté de l’homme au sens que les auteurs, ci-dessus cités, ont attaché à ce mot, je suis en droit de soutenir qu’elle sert en même-tems à démontrer que cette liberté n’exclut point la nécessité.

Jusqu’ici je me suis attaché à faire voir combien les définitions que plusieurs écrivains nous ont données de la liberté comme fondées sur l’expérience, étoient éloignées de faire évanouir toute idée de nécessité ; je vais maintenant faire usage de plusieurs aveux faits sur cette importante matière par les plus zèlés partisans de la liberté, & m’en servir avantageusement pour détruire les argumens qu’on tire ordinairement de l’expérience en faveur du franc arbitre.

Erasme,[3] dans son traité du franc arbitre, qu’il a écrit contre Luther, avoue de bonne foi que de toutes les questions qui ont jusqu’ici exercé la plume des philosophes & des théologiens de tous les âges, il n’y en a point de si obscure ni de si difficile à résoudre que celle du franc arbitre. M. le Clerc[4] en rendant compte de l’ouvrage d’Erasme, dit que cette question du franc arbitre étoit

  1. Voyez les œuvres de Bramhall, p. 697, 702, 707, 735.
  2. Voyez sa bibliothèque choisie, tom. 12, p. 105. C’est aussi dans le même endroit qu’il dit, que toutes les actions de l’ame consistent en ses jugemens & en ses volitions, qui ne sont libres que lorsque rien ne l’y détermine nécessairement, c’est-à-dire, quand il ne s’agit ni de l’évidence, ni du bien en général. Ibid.
  3. Voyez Œuvres d’Erasme, tom. 9. p. 1219.
  4. Voyez sa bibliothèque choisie, tom. 12. p. 57.