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desquelles on peut s’assurer dans la suite qu’ils jouissent d’une liberté pleine & entière ?


Argument tiré de l’impossibilité de la liberté.

Une autre raison, qui prouve invinciblement que l’homme est un agent nécessaire, & que j’ai indiquée dans le chapitre précédent, c’est que toutes ses actions ont un commencement : or tout ce qui a un commencement, a nécessairement une suite & toute cause est nécessaire. En effet, s’il étoit possible que quelque chose au monde eût un commencement sans avoir de cause, le néant produiroit quelque chose : mais si cela pouvoit être, il faudroit donc dire aussi que le monde a eu un commencement sans avoir eu de cause, ce qui seroit tomber dans la plus grande des absurdités.

D’un autre côté, si une cause n’est point nécessairement ce qu’elle est, il n’y a plus de causes réelles dans le monde. Effectivement, dès que les causes ne sont plus nécessaires, elles ne peuvent plus être propres à produire précisément certains effets, ou pour m’exprimer autrement, elles n’ont que de l’indifférence pour tels ou tels effets.

Une autre conséquence de cette hypothèse, c’est qu’elle tend à ressusciter & à rendre possible le systême d’Epicure fondé sur le hasard : en ce cas-là le monde, dont nous admirons l’ordre & la symmétrie, aura fort bien pu avoir été produit par un concours irrégulier ou fortuit d’atomes, ou, ce qui revient absolument au même, sans aucune cause antécédente. Car, pour réfuter le systême d’Epicure, ne soutenons-nous pas (& avec raison) que le hasard ne sauroit avoir produit un tout si régulier que tout effet doit être proportionné, assorti à sa cause ; qu’un tout aussi régulier que notre monde ayant eu un commencement, a eu nécessairement pour cause un être intelligent, qu’autrement l’effet n’auroit été analogue à la cause ni la cause à l’effet ? Or, de tout cela il résulte que certaines causes correspondent, se rapportent à certains effets & non à d’autres : mais, si ces causes sont relatives à ces effets & non à d’autres, il s’ensuit qu’elles doivent nécessairement exclure ces derniers. Il n’y a donc point de ditrérence entre une cause qui n’est point affectée à un certain effet, & une cause nulle ; si une cause n’a point de rapport à un effet, elle n’est point cause : donc une cause relative à un effet, est une cause nécessaire car si elle ne produit point cet effet, elle n’a point de rapport avec lui, ou bien elle n’est point cause relativement à lui. Par conséquent la liberté ou le pouvoir d’agir, de faire telle ou telle autre chose dans des circonstances parfaitement semblables, est une chose impossible & aussi absurde que le fystême des athées.

Comme l’hypothèse de la liberté ne sauroit avoir d’autres fondemens que les principes sur lesquels les athées & les épicuriens établissent ordinairement la leur, il n’eft pas étonnant de voir au nombre des défenfeurs zélés de la liberté les plus grands athées de l’antiquité[1], & de voir, d’un autre côté, les stoïciens[2] c’est-à-dire, la secte la plus religieuse de l’antiquité, au nombre des partisans de la nécessité[3] ou du fatum comme ils

  1. Pour s’en convaincre, il suffit de jetter les yeux sur ces vers de Lucrèce,

    Denique si semper motus connectitur omnis,
    Et vetere exoritur semper novus ordine certo :
    Nec declinando faciunt primordia motûs
    Principium quoddam quod fati fædera rumpat ;
    Ex infinito ne causam causa sequatur :
    Libera per terras unde hæc animantibus exstat,
    Unde est hæc, inquam, fatis avolsa voluntas,
    Per quam progredimur quo ducit quemque voluptas ?
    Declinamus item motus nec tempore certo,
    Nec regione loci certâ, sed ubi ipsa tulit mens,
    Nam dubio procul his rebus sua cuique voluntas
    Principium dat : & hinc motus per membra rigantur.
    Nonne vides etiam patefactis tempore puncto
    Carceribus, non posse tamen prorumpere equorum
    Vim cupidam tam de subito, quam mens avet ipfa ?
    Omnes enim totum pet corpus materiai
    Copia conquiri debet, concita per artus
    Omnis, ut studium mentis connexa sequatur :
    Ut videas initum motûs à corde creari,
    Ex animique voluntate id procedere primum
    Indè dari porrò per totum corpus & artus…
    Jamne vides igitur, quanquam vis extera multos
    Pellit & invitas cogit procedere sæpe,
    Præcipitesque rapit ; tamen esse in pectore nostro
    Quiddam, quod contrà pugnare obstareque possit…

    De rerum natura lib. 2. v. 251.

    Le docteur Clarke a donc tort de dire (dans son Traité de l’existence & des attributs de Dieu, tom. 1. chap. 11.) « que tous les athées s’accordent à rejetter cette proposition, qu’une puissance infinie peut donner le pouvoir de commencer le mouvement, parce que (ajoute-t-il) la liberté de la volonté en est une suite nécessaire. » p. 188 & suiv.

  2. Voyez Euseb. Præpar. Evangel. liv. 6, cap. 7.
  3. Voici comme Seneque s’exprime : « Fata nos ducunt : & quantum cuique restet, prima nascentium hora disposuit. Causa pendet ex causâ : privata & publica longus ordo rerum trahit. Ideò fortiter omne ferendum est : quia non, ut putamus