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l’appeloient[1].

La même[2] chose est arrivée chez les juifs, je veux dire, dans cette nation qui, outre les lumières naturelles, avoit en sa possession une grande quantité de livres inspirés, dont la plupart sont actuellement perdus, & qui d’ailleurs avoit de fréquentes conversations très-intimes avec la divinité. Ils étoient divisés en trois sectes principales, savoir les Sadducéens[3], les Pharisiens,[4] & les Esséniens.[5] Les Sadducéens, qui passoient assez généralement pour des athées & des gens sans religion, soutenoient que l’homme étoit libre. Les Pharisiens, au contraire, qui affectoient une grande piété, rapportoient toutes choses à une espèce de fatalité, ou à la volonté de Dieu : le premier article de leur foi étoit que le destin & Dieu font tout ; il n’étoit donc pas possible qu’ils songeassent sérieusement à maintenir le système de la liberté lorsqu’ils admettoient une espèce de libre arbitre, après avoir reconnu cette nécessité souveraine de toutes choses. Les Esséniens, qui étoient les plus religieux d’entre les juifs, & dont la conduite n’a jamais été l’objet de la censure de Notre-Seigneur, comme celle des Pharisiens, soutenoient hautement une fatalité & une nécessité absolues. M. Dodwel[6] « prétend que saint Paul[7], qui étoit fils d’un Pharisien, & qui l’étoit lui-même, avoit reçu cette doctrine touchant le fatalisme des docteurs de cette secte, qui la tenoient eux-mêmes des stoïciens. » Cet auteur ajoute, « que la philosophie stoïcienne est très-utile, & même nécessaire[8] pour l’explication de la théologie chrétienne : que l’écriture sainte est pleine de passage où le saint-esprit parle conformément aux opinions des stoïciens, & que quiconque cherchera à pénétrer le vrai sens de tout ce que dit saint Paul[9] sur la prédestination & sur la réprobation, reconnoîtra aisément la conformité des principes de cet apôtre avec ceux des stoïciens. »

Ainsi la liberté, qu’on peut regarder comme le plus ferme appui de l’athéisme, a aussi été reconnue & adoptée par les athées les plus déterminés, tandis que la fatalité & la nécessité de toutes choses a toujours été considérée comme une opinion religieuse, & a été le principe constant des sectes les plus pieuses & les plus respectables parmi les payens comme parmi les juifs. Ç’a même été la doctrine de saint Paul, ce grand apôtre des gentils.

Argument tiré de l’imperfection de la liberté & de la
perfection de la nécessité
.

Les partisans de la liberté ne cessent de nous la vanter comme une des plus grandes perfections.


    incidunt cuncta, sed veniunt. Olim constitutum est, quid gaudeas, quid fleas : & quamvis magnâ videatur varietate singulorum vita distingui, summa in unum venit : accipimus peritura perituri. Quid ita indignamur ? Quid querimur ? Ad hæc parati sumus. Utatur, ut vult, suis natura corporibus. Nos laeti ad omnia et fortes, cogitemus nihil perire de nostro. Quid est boni viri ? Præbere se fato. Grande solatium est cum universo rapi. Quidquid est, quod sic vivere jussit, sic mori ; eadem necessitate et deos alligat : irrevocabilis humana pariter ac divina cursus venit. Ille ipse omnium conditor et rector scripsit quidem fata, sed sequitur. Semper paret, semel jussit. Quare tamen Deus tam iniquus in distributione fati fuit, ut bonis viris paupertatem, vulnera, & acerba funera adscriberet ? Non potest artifex mutare materiam. Hæc passa est. Quædam separari à quibusdam non possunt, cohærent : individua sunt. Languida ingenia et in somnum itura aut in vigiliam somno simillimam, inertibus nectuntur elementis : ut efficiatur vir cum curâ dicendus, fortiore fato opus est ». De provid. cap. 5.

  1. Voyez Cicer. de Natura Deorum, lib. I. & de Fato, lib. singul.
  2. On en pourroit dire autant des deux sectes, qui divisent actuellement l’église de France.
  3. « Chez les juifs la Métempsycose a été crùe par les pharisiens, qui étoient les principaux docteurs de leur nation ». Voyez les recherches philosophiques sur la nécessité de s’assurer par soi-même de la vérité, sur la certitude de nos connoissances, & sur la nature des êtres, accompagnées de remarques historiques & critiques, par un membre de la société royale de Londres, [à Amsterdam & à la Haye, chez la veuve Johnson & fils, 1742. in. 80.) liv. I, art. 43, p. 65.
  4. Voyez l’historien Josephe, de la guerre des juifs, liv II.
  5. Voyez le même, antiquités judaïques, liv. 18, chap. 2. Selon Blondel, Scaliger, & plusieurs autres écrivains, les Therapeutes n’étoient autre chose que les Esséniens.
  6. Voyez Prolegomena. ad Stearn de obstin. sect. 40 & 41.
  7. Et dicit : ego sum judæus, natus in Tarso Ciliciæ, nutritus autem in istâ civitate, secus pedes Gamaliel, eruditus juxtà veritatem paternæ legis, æmulator legis… act. des apot. chap. 22, v. 3.
  8. Celle d’Aristote ne l’est pas moins, s’il en faut croire Palavicin dans son histoire du Concile de Trente, lorqu’il dit, Senza Aristotile non mancavano, di molti articoli de sede. Ne pourroit-on pas en dire autant de Platon, voyez là-dessus le Platonisme dévoilé. (vol. in-12 à Cologne 1700.) cap. 5, 7, 9, 12, 13, 18, part 1.
  9. « Quod enim operor, non intelligo. Non enim quod volo bonum, hoc ago : sed quod odi malum, illud facio… Nunc autem jam non ego operor illud, sed quod habitat in me peccatum… Scio autem quod non habitat in me, hoc est in carne meâ, bonum : nam velle, adjacet mihi : perficere autem bonum, non invenio… Video autem aliam legem in membris meis, repugnantem legi mentis meæ, et captivantem me in lege peccati, quæ est in membris meis… » Ep. aux romains, chap. 7. V. 15, 17, 18, 23.