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qua ni de respect, ni de gratitude envers son maître ; ce ne seroit pas en avoir manqué, que d’avoir été l’auteur d’une autre philosophie. Les Platoniciens auroient grand tort d’exiger qu’il eut suivi Platon en toutes choses. Platon n’avoit-il rien ajouté aux lumières que Socrate lui avoit fournies ? La reconnoissance envers un maître n’impose pas au disciple la loi d’adopter indistinctement tous ses sentimens. D’autres disent que Platon fut vivement piqué que de son vivant Aristote se fût fait chef de parti & qu’il eût érigé dans le licée une secte entièrement opposée à la sienne. Il le comparoit à ces enfans vigoureux, qui battent leurs nourrices après s’être nourris de leur lait. L’auteur de tous ces bruits si désavantageux à la réputation d’Aristote, est un certain Aristoxene que l’esprit de vengeance anima contre lui selon le rapport de Suidas parce qu’il lui avoit préféré Théophraste, qu’il avoit désigné pour être son successeur.

Il n’est point vraisemblable comme le remarque fort bien Ammonius, qu’Aristote ait osé chasser Platon du lieu où il enseignoit, pour s’en rendre le maître & qu’il ait formé de son vivant une secte contraire à la sienne. Le grand crédit de Chabrias & de Timothée, qui tous deux avoient été à la tête des armées & qui étoient parens de Platon, auroit arrêté une entreprise si audacieuse.

Bien loin qu’Aristote ait été un rebelle qui ait osé combattre la doctrine de Platon pendant qu’il vivoit, nous voyons que même depuis sa mort il a toujours parlé de lui en termes qui marquoient combien il l’estimoit. Il est vrai que la secte péripatéticienne est bien opposée à la secte Académique : mais on ne prouvera jamais qu’elle soit née avant la mort de Platon. Et si Aristote a abandonné Platon, il n’a fait que jouir du droit des philosophes ; il a fait céder l’amitié qu’il devoit à son maître, à l’amour qu’on doit encore plus à la vérité. Il peut se faire pourtant, que dans l’ardeur de la dispute il n’ait pas assez ménagé son maître ; mais on le peut pardonner au feu de sa jeuneue, & à cette grande vivacité d’esprit qui l’emportoit au delà des bornes d’une dispute modérée.

Platon en mourant, laissa le gouvernement de l’Académie à Speusippe son neveu. Choqué de cette préférence, Aristote prit le parti de voyager, & il parcourut les principales villes de la Grèce, se familiarisant avec tous ceux de qui il pouvoit tirer quelque instruction, ne dédaignant pas même cette, sorte de gens qui font de la volupté toute leur occupation, & qui plaisent du moins, s’ils n’instruisent.

Durant le cours de ses voyages, Philippe, roi

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de Macédoine & juste appréciateur du mérite des hommes, lui manda que son dessein étoit de le charger de l’éducation de son fils. « Je rends moins grâces aux dieux lui écrivoit-il de » me l’avoir donné que de l’avoir fait naître » pendant votre vie, je compte que par vos » conseils il deviendra digne de vous & de moi ». Aul. Gel. lib. 9. Quel honneur pour un philosophe que de voir son nom lié avec celui d’un héros tel qu’Alexandre le Grand & quelle récompense plus flatteuse de ses soins que d’entendre ce même héros repéter souvent ; « je « dois le jour à mon père, mais je dois à mon « précepteur l’art de me conduire ; si je règne » avec quelque gloire je lui en ai toute l’obli- » gation ».

Il y a apparence qu’Aristote demeura à la cour d’Alexandre & y jouit de toutes les prérogatives qui lui étoient dues jusqu’à ce que ce prince, destiné à conquérir la plus belle partie du monde, porta la guerre en Asie. Le philosophe se sentant inutile reprit alors le chemin d’Athènes. Là il fut reçu avec une grande distinction, & on lui donna le lycée pour y fonder une nouvelle école de phitosophie. Ce fut alors qu’il composa ses principaux ouvrages : néanmoins Plutarque dit qu’il avoit déjà écrit ses livres de physique, de morale de métaphysique & de rhétorique ; il rapporte même qu’Alexandre lui reprocha d’avoir rendu publique la philosophie particulière qu’il lui avoit enseignée.

Quoique le soin de ses études l’occupât extrêmement, il ne laissoit pas d’entrer dans tous les mouvemens & dans toutes les querelles qui agitoient alors les divers états de la Grèce. On le soupçonne même de n’avoir pas ignoré la malheureuse conspiration d’Antipater, qui fit empoisonner Alexandre à la fleur de son âge, & au milieu des plus justes espérances de s’assujestir le monde entier.

Cependant Xénocrate, qui avoit succédé à Speusippe, enseignoit dans l’académie la doctrine de Platon. Aristore qui avoit été son disciple pendant qu’il vivoit, en devint le rival après sa mort. Cet esprit d’émulation le porta à prendre une route différente vers la renommée en s’emparant d’un district que personne encore n’avoit occupé. Quoiqu’il n’ait point prétendu au caractère de législateur, il écrivit cependant des livres de loix & de politique, par pure opposition à son maître. Il observa, à vérité, l’ancienne méthode de la double doctrine qui étoit si fort en vogue dans l’académie, mais avec moins de réserve & de discrétion que ceux qui l’avoient précédé. Les pythagoriciens & les platoniciens faisoient de cette methode même un secret de leurs écoles : mais il semble qu’Aristote

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