Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p1, A-B.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ARI ARI 189

Cicéron jusqu’au notre ; contentons-nous de celle des auteurs ecclésiastiques. On ne niera pas sans doute que les ouvrages d’Aristote n’existassent du tems de Cicéron, puisque cet auteur parle de plusieurs de ces ouvrages, & nomme, dans d’autres livres que ceux qu’il a écrits sur la nature des dieux quelques-uns qui nous restent encore, ou du moins que nous prétendons qui nous restent. Le christianisme a commencé peu de tems après la mort de Cicéron. Suivons donc tous les pères depuis Origène & Tertullien : consultons les auteurs ecclésiastiques les plus illustres dans tous les siècles, & voyons si les ouvrages d’Aristote leur ont été inconnus. Les écrits de ces deux premiers auteurs ecclésiastiques sont remplis de passages, de citations d’Aristote, soit pour les réfuter, soit pour les opposer à ceux de quelques autres philosophes. Ces passages se trouvent aujourd’hui, excepté quelques-uns, dans les ouvrages d’Aristote.

N’est-il pas naturel d’en conclure que ceux que nous n’y trouvons pas ont été pris dans quelques écrits qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous ? Pourquoi, si les ouvrages d’Aristote étoient supposés, y verroit-on les uns, & point les autres ? Y auroit-on mis les premiers, pour empêcher qu’on ne connût la supposition ? Cette même raison y eut dû faire mettre les autres. Il est visible que c’est ce manque & ce défaut de certains passages qui prouve que les ouvrages d’Aristote sont véritablement de lui. Si parmi le grand nombre de passages d’Aristote qu’ont rapporté les premiers pères, quelques-uns ont été extraits de quelques ouvrages qui sont perdus, quelle impossibilité y a-t-il que ceux que Cicéron a placés dans ses entretiens sur la nature des dieux aient été pris dans les mêmes ouvrages ? Il seroit impossible d’avoir la moindre preuve du contraire, puisque Cicéron n’a point cité les livres d’où il les tiroit.

S. Justin a écrit un ouvrage considérable sur la physique d’Aristote : on y retrouve exactement non seulement les principales opinions, mais même un nombre infini d’endroits des huit livres de ce philosophe. Dans presque tous les autres ouvrages de S. Justin. il est fait mention d’Aristote.

S. Ambroise & S. Augustin nous assurent dans vingt endroits de leurs ouvrages, qu’ils ont lu les livres d’Aristote ; ils les réfutent ; ils en rapportent des morceaux & nous voyons que ces morceaux se trouvent dans les écrits qui restent, & que ces réfutations conviennent partaitement aux opinions qu’ils contiennent.

Allons maintenant plus avant, & passons au sixième siècle : Boëce, qui vivoit au commencemens parle souvent des livres qui nous res-

ARI

tent d’Aristote, & fait mention de ses principales opinions.

Cassiodore qui fut contemporain de Boëce, mais qui mourut beaucoup plus tard, ayant vécu jusques vers le septième siècle, est encore un témoin irréprochable des ouvrages d’Aristote. Il nous fait connoître qu’il avoit écrit d’amples commentaires sur le livre d’Aristote de l’Interprétation, & composé un livre de la division qu’on explique en logique après la définition, & que son ami le Patrice Boëce, qu’il appelle homme magnifique, ce qui étoit un titre d’honneur dans ce tems avoit traduit l’introduction de Porphyre, les Catégories d’Aristote, son livre de l’interprétation, & les huit livres des Topiques.

Si du septième siècle. je passe au huitième & au neuvième j’y trouve Photius, patriarche de Constantinople, dont tous les savans, anciens & modernes, ont fait l’éloge à l’envi les uns des autres : cet homme, dont l’érudition étoit profonde, & la connoissance de l’antiquité aussi vaste que sûre, ratifie le témoignage de S. Justin, & nous apprend que les livres qu’il avoit écrits sur la physique d’Aristote existoient encore ; que ceux du philosophe s’étoient aussi conservés & il nous en dit mot-à-mot le précis. On sait que St Bernard dans le douzième siècle s’éleva si fort contre la philosophie d’Aristote, qu’il fit condamner sa métaphysique par un concile ; cependant peu de temps après elle reprit le dessus ; & Pierre Lombard, Albert le Grand, S. Thomas, la cultivèrent avec soin, comme nous l’allons voir dans la suite de cet article. On la retrouve presqu’en entier dans leurs ouvrages.

Mais quels sont ceux à qui la supposition des ouvrages d’Aristote a paru vraisemblable ? Une foule de demi-savans hardis à décider de ce qu’ils n’entendent point, & qui ne sont connus que de ceux qui sont obligés par leur genre de travail, de parler des bons, ainsi que des mauvais écrivains.

L’auteur le plus considérable qui ait voulu rendre suspects quelques livres qui nous restent d’Aristote, c’est Lamblique qui a prétendu rejetter les Catégories : mais les auteurs, ses contemporains, & les plus habiles critiques modernes, se sont moqués de lui. Un certain Andronicus, Rhodien qui étoit apparemment l’Hardouin de son siècle, avoit aussi rejetté, comme supposés les livres de l’interprétation voilà quels sont ces savans sur l’autorité desquels on regarde comme apocryphes les livres d’Aristote. Mais un savant qui vaut mieux qu’eux tous, & qui est un juge bien plus compétent dans cette matière, c’est M. Leibnitz ; on voudra bien me permettre de le leur opposer. Voici comme il parle dans le second tome de ses Epîtres, pag. 115 de l’édition de Leipsic 1738.