Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p1, A-B.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ARI ARI 201

premiére n’avoit d’autre fondement que tette méthode d’arranger des idées, ou de concevoir les choses, il n’a rien dit qu’on ne puisse lui accorder : mais aussi cette matière n’est plus qu’un être d’imagination, une idée purement abstraite ; elle, n’existe pas plus que la fleur en général, &c. Ce n’est pourtant pas qu’on ne voie aujourd’hui des philosophes qui, tenant d’Aristote la manière de considérer les choses en général, avant que de venir à leurs espèces, & de passer de leurs espèces à leurs individus, ne soutiennent de fang-froid, & même avec une espèce d’opiniâtreté, que l’universel est dans chaque objet particulier ; que la fleur en général, par exemple, est une réalité vraiment existante dans chaque jonquille & dans chaque violette. Il paroît à d’autres que, par matière première, Aristote n’a pas entendu seulement le corps en général, mais une pâte uniforme dont tout devoit être construit ; une cire obéissante qu’il regardoit comme le fond commun des corps, comme le dernier terme où revenoit chaque corps en se détruisant ; c’étoit le magnifique bloc du statuaire de la Fontaine :

Un bloc de marbre étoit si beau,

Qu’un Statuaire en fit l’emplette :

Qu’en fera, dit-il, mon ciseau ?

Sera-t-il dieu, table ou cuvette ?

Brisez ce dieu de marbre, que vous reste-t-il en main ? Des morceaux de marbre. Cassez la table ou la cuvette, c’est encore du marbre ; c’en le même fond partout ; ces choses ne diffèrent que par une forme extérieure. Il en est de même de tous les corps ; leur masse est essentiellement la même ; ils ne diffèrent que par la figure, par la quantité, par le repos, ou par le mouvement, qui font toutes choses accidentelles.

Cette. idée qu’on doit à Aristote, a paru si spécieuse à tous les philosophes, tant anciens que modernes, qu’ils l’ont généralement adoptée : mais cette idée d’une matière générale dans laquelle s’en retournent tous les corps en dernière décomposition, est démentie par l’expérience : si elle étoit vraie, voici ce qui en devroit arriver.

Comme le mouvement fait fortir de cette cire un animal, un morceau de bois, une masse d’or ; le mouvement en leur ôtant une forme passagère, devrait les ramener à leur cire primordiale. Empédocle, Platon, Aristote & les scholastiques le disent ; mais la chose n’arrive point. Le corps organisé se dissout en différentes masses de peaux, de poils, de chairs ; d’os, & d’autres corps mélangés. Le corps mixte se résout en eau, en sable, en terre : mais avec les dissol-

Philosophié anc. & mod. Tom. 1.

vans les plus forts, avec le feu le plis vif, vous n’obtiendrez point ces corps limples. Le sable reste sable, le fer demeure fer, l’or épuré. ne change plus ; la terre morte sera toujours terre ; & après toutes les épreuves & tous les tourmens imaginables, vous les retrouverez en’core les mêmes ; l’expérience ne va pas plus loin les élémens font chacun à part des ouvrages admirables qui ne peuvent changer, afin que le monde, qui en est composé, puisse recevoir des changemens par leur mélange, & soit cependant durable comme les principes qui en sont la base.

Pour la forme,.qui est le second principe d’Aristote, il la regarde comme une substance, un principe actif qui constitue les corps, & assujettit pour ainsi dire la matière : il suit de-là qu’il doit y avoir autant de formes naturelles qui naissent & meurent tour-à-tour,, qu’il y a de corps primitifs & élémentaires.

Pour la privation, dit Aristote, elle n’est point une substance ; elle est même à quelques égards une sorte de néant. En effet, tout corps qui reçoit une telle forme, ne doit pas l’avoir auparavant ; il doit même en avoir une qui soit absolument contraire. Ainsi les morts se sont des vivans, & les vivans des morts.

Ces trois principes étant établis, Aristote passe à l’explication des causes, qu’il traite d’une manière assez distincte, mais precque sans parler de la première cause qui est Dieu.

Quelques-uns ont pris occasion, tant de la définition qu’il donne de la nature, que du pouvoir illimité qu’il lui attribue, de dire qu il méconnoit cette première cause : mais nous le justifierons d’athéisme dans la suite de cet article. Selon lui, la nature est un principe effectif, une cause plénière, qui rend tous les corps où elle réside, capables par eux-mêmes de mouvement & de repos ; ce qui ne peut point se dire des corps où elle ne réside que par accident, & qui appartiennent à l’art : ceux-là n’ont rien que par emprunt, & si j’ose ainsi parler, que de la seconde main.

Continuons : tous les corps ayant en eux cette force, qui dans un sens ne peut être anéantie, & cette tendance au mouvement qui est toujours égale, sont des substances véritablement dignes de ce nom : la nature par conséquent est un autre principe d’Aristote ; elle qui produit les formes, ou plutôt, qui se divise & se subdivise en une infinité de formes, que les besoins de la matière le demandent. Ceci mérite une attention particulière, & donne lieu à ce philosophe d’expliquer tous les changemens qui arrivent aux corps.

Cc