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212 ARI ARI

termine par lui-même, & Dieu n’a aucun pouvoir sur lui. Une autre raison qui faisoit nier à Aristote l’immortalité de l’ame, c’est l’opinion où il étoit avec tous les autres philosophes que notre âme étoit une portion de la divinité dont elle avoit été détachée, & qu’après un certain nombre de révolutions dans différens corps, elle alloit s’y rejoindre & s’y abymer, ainsi qu’une goutte d’eau va se réunir à l’océan, quand le vase qui la contenoit vient à se briser. Cette éternité qu’ils attribuoient à l’ame étoit précisément ce qui détruisoit son immortalité.

Les fausses idées qu’Aristote s’étoit faites sur le mouvement l’avoient conduit à croire l’éternité du monde. Le mouvement, disoit-il, doit être éternel. En voici la preuve : s’il y a eu un premier mouvement, comme tout mouvement suppose un mobile, il faut absolument que ce mobile soit engendré ou éternel, mais pourtant en repos, à cause de quelque empêchement. Or de quelle façon que ce foit, il s’ensuit une absurdité ; car si ce premier mobile est engendré, il l’est donc par le mouvement, lequel par conséquent sera antérieur au premier ; & s’il a été en repos éternellement, l’obstacle n’a pu étre ôté sans le mouvement, lequel de rechef aura été antérieur au premier.

A cette raison, Aristote en ajoute plusieurs autres, pour prouver l’éternité du monde. Il soutenoit que Dieu & la nature ne seroient pas toujours ce qu’il y a de meilleur, si l’univers n’étoit éternel, puisque Dieu ayant jugé de tout temps que l’arrangement du monde étoit un bien, il auroit différé de le produire pendant toute l’éternité antérieure. Voici encore un de ses argumens sur le même sujet : si le monde a été créé, il peut être détruit ; car tout ce qui a eu un commencement doit avoir une fin. Le monde est incorruptible & inaltérable ; donc il est éternel. Voici la preuve que le monde est incorruptible : si le monde peut être détruit, ce doit être naturellement par celui qui l’a créé ; mais il n’en a point le pouvoir, ce qu’Aristote prouve ainsi. Si l’on suppose que Dieu à la puissance de détruire le monde, il faut savoir alors si le monde étoit parfait : s’il ne l’étoit pas, Dieu n’avoit pu le créer, puisqu’une cause parfaite ne peut rien produire d’imparfait, & qu’il faudroit pour cela que Dieu fût défectueux, ce qui est absurde : si le monde au contrairé est parfait, Dieu ne peut le détruire, parce que la méchanceté est contraire à son essence, & que c’est le propre de celle d’un être mauvais, de vouloir nuire aux bonnes choses.

On peut juger maintenant de la doctrine d’Aristote sur la divinité ; c’est à tort que quelques-uns l’ont accusé d’athéisme, pour avoir cru le monde éternel ; car autrement il faudroit faire le même reproche à presque tous les anciens philosophes qui étoient infectés de la même erreur.

Aristote étoit si éloigné de l’athéisme, qu’il nous représente Dieu comme un être intelligent & immatériel ; le premier moteur de toutes choses, qui ne peut être mu lui-même. Il décide même en termes formels, que si dans l’univers, il n’y avoit que de la matière, le monde se trouveroit sans cause première & originale, & que par conséquent il faudroit admettre un progrès de causes à l’infini ; absurdité qu’il réfute lui-même. Si l’on me demande ce que je pense de la création d’Aristote, je répondrai qu’il en a admis une, même par rapport à la matière qu’il croyoit avoir été produite. Il différoit de Platon son maître, en ce qu’il croyoit le monde une émanation naturelle & impétueuse de la divinité, à-peu-près. comme la lumière est une émanation du soleil. Au lieu que, selon Platon, le monde étoit une émanation éternelle & nécessaire, mais volontaire & réfléchie d’une cause toute sage & toute puissante : l’une & l’autre création, comme on voit, emporte avec soi l’éternité du monde, & est bien différente de celle de Moïse, où Dieu est si libre, par rapport à la production du monde, qu’il auroit pu le laisser eternellement dans le néant.

Mais si Aristote n’est pas athée en ce sens, qu’il attaque directement & comme de front la divinité, & qu’il n’en reconnoisse point d’autre que cet univers, on peut dire qu’il l’est dans un sens plus étendu, parce que les idées qu’il se forme de la divinité, tendent indirectement à la renverser & à la détruire.

En effet, Aristote nous représente Dieu comme le premier moteur de toutes choses : mais il veut en même temps que le mouvement que Dieu imprime à la matière ne soit pas l’effet de sa volonté, mais qu’il coule de la nécessité de sa nature ; doctrine monstrueufe qui ôte à Dieu la liberté ; & au monde sa dépendance par rapport à son créateur. Car si Dieu est lié & enchaîné dans ses opérations, il ne peut donc faire que ce qu’il fait, & de la manière dont il le fait ; le monde est donc aussi éternel & aussi nécessaire que lui.

D’un autre côté, le dieu d’Aristote ne peut être immense ni préfent par tout, parce qu’il est comme cloué au ciel le plus élevé, où commence le mouvement, pour se communiquer de-là aux cieux inférieurs. Abymé de toute eternité dans la contemplation de ses divines perfections, il ne daigne pas s’informer de ce qui se passe dans l’univers ; il le laisse rouler au gré du hasard. ll ne pense pas même aux