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versa le dogme de l’existence de Dieu. Il ne reconnut d’autre puissance divine que celle de la nature ; & sans trop éclaircir ce que ce pouvoit être au fond que cette nature, il la regardoit comme une force répandue par-tout & essentielle à la matière, une espèce de sympathie qui lie tous les corps & les tient dans l’équilibre, comme une puissance, qui sans se décomposer elle-même, a le fecret merveilleux de varier les êtres à l’infini ; comme un principe d’ordre & de régularité, qui produit éminemment tout ce qui peut se produire dans l’univers. Mais y a-t-il rien de plus ridicule que de dire qu’une nature qui ne sent rien, qui ne connoit rien, se conforme parfaitement à des loir éternelles ; qu’elle a une activité qui ne s’écarte jamais des routes qu’il faut tenir ; & que dans la multitude des facultés dont elle est douée, il n’y en a point qui ne fasse ses fonctions avec la dernière régularité ? Conçoit-on des loix qui n’ont pas été établies par une cause intelligente ? En conçoit-on qui puissent être exécutées réguliérement par une cause qui ne les connoît point, qui ne sait pas même qu’elle existe. C’est-là l’endroit le plus foible du stratonisme ; c’est une objection qu’il n’a pas prévue, & qui ébranle tout son système que Spinosa a renouvellé de nos jours, & auquel il a donné la forme géométrique. Entre ces deux systêmes, je ne vois d’autre différence si non que Spinosa ne faisoit de tout l’univers, qu’une seule substance, dogme qu’il avoit emprunté de Zénophaüs, de Mélissus & de Parménides, au lieu que Straton reconoissoit autant de substances diverses qu’il y avoit de molécules dans la matière. Nous allons en parler plus en détail, & exposer aussi clairement qu’il nous sera possible cette ancienne hypothèse des élémens animés.

Aristote avant donné une direetion fixe au mouvement des élémens qu’il employoit dans la compofition du monde, & les portant constamment ou de bas en haut, ou de haut en bas, ou circulairement autour du centre, avoit dans son hypothèse une preuve de l’éternité du monde ; mais les variations irrégulières des êtres naissans & mourans sans cesse, étoient une preuve contre son hypothèse. Pourquoi les matieres sublunaires, le feu, l’air, l’eau, la terre étant arrivés une fois à leur lieu naturel, n’y restoient-elles pas éternellement comme les matières célestes dans les leurs ? Ce fut sans doute ce qui détermina Straton à changer les principes de son maître. Il ôta au mouvement des élémens cette direction fixe, pour leur en donner une plus vague, par laquelle on pût expliquer les variations sur-tout du monde sublunaire : mais alors il fallut renoncer à l’éternité du monde.

Peut-être aussi qu’Aristote, dans des circonstances plus délicates, n’avoit pas jugé à propos de dire nettement toute sa pensée. Car après tout, ces natures actives, ou entéléchies, qu’il attachoit à chaque individu, ne pouvoient être qu’un résultat des deux natures élémentaires dont l’individu étoit composé. Straton vivant dans un siècle où les dogmes les plus hardis ne faisoient plus qu’autant de sensation qu’il en falloit pour produire la célébrité des auteurs, parla plus clairement que lui. Il osa dite, sans détour & sans mystère, qu’il n’avoit pas besoin d’aucune cause intelligente, pour former, mouvoir, conduire l’univers & chacune de ses parties : qu’un principe spontanée, inhérent à chaque parcelle élémentaire, lui suffisoit pour exécuter tout, selon certaines combinaisons, formées par la diversité des poids, par celle des mouvemens & par le hasard des rencontres : & à ce principe il donnoit le nom de nature. « Straton, disciple de Théophraste, celui qu’on appelle le Physicien pense que toute la puissance divine réside dans la nature, qui renferme en elle les causes de la génération, de l’accroissement, de la nutrition des êtres, & qui n’a aucune espèce de sentiment. (1) ». Et ailleurs : Straton de Lampsaque déclare qu’il n’a pas besoin du secours des Dieux pour faire le monde. Il prétend que tout ce qui est, est l’ouvrage de la nature. Entrant dans les détails des parties, il montre que tout ce qui est, ou qui se fait, se fait, ou a étê fait, par les poids & par les mouvemens naturels (2) ».

Deux choses à remarquer soigneusement : les poids naturels de chaque particule élémentaire, ce qui constitue le méchanisme ; les mouvemens naturels de chacune de ces particules, ce qui constitue le naturalisme. Il y avoit donc dans chaque élément une nature mouvante, & une pesanteur particulière, qui se modifioient l’une par l’autre, & procuroient les rencontres. D’autres les rendent par deux mots, la nature & la fortune :   .

Ce systême est aisé à comprendre, si on veut y joindre ce que nous dirons des Stoïciens à l’article Zénonisme. (Voyez ce mot), en effet, ôtez au Dieu de Zénon l’intelligence & le sentiment, qui dans le fait lui étoient inutiles pour

(1) Theophrasti auditor Strato is qui Physicus appellatur, omnem vim divinam in natura sitam esse censet quae causas gignendi, augendi, nutriendi habeat, sed careat omni sensu. Cic. de nat. Deor. I. 13.

(2) Strato Lampsacenus negat opera Deorum se uti ad fabricandum mundum : Quaecumque sint, docet omnia effecta esse natura. Ipse autem singulas mundi partes persequens, quidquid fit aut fiat, naturalibus fieri, aut factum esse docet ponderibus & rnotibus. Lucuk. 38.