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PRÉLIMINAIRE

M. Dutens n’a bien prouvé qu’une seule chose ; c’est que s’il eût vécu du tems de Platon, d’Aristote, &c. il auroit de même revendiqué en faveur de Pythagore, ou de quelqu’autre philosophe encore plus ancien, les découvertes, ou plutôt les idées, les conjectures & les opinions du disciple de Socrate, du philosophe de Stagyre, &c. En effet, on sent que mesure des connoissances de M. Dutens, & son caractère une fois donnés dans quelque siècle éclairé où le hasard l’eût fait naître, il auroit nécessairement fait le même livre ; c’est-à-dire, un livre dans le même esprit, & qu’on ne lit point sans se rappeller les plaintes d’Horace, sur l’injustice de ses contemporains, parmi lesquels on voyoit, comme aujourd’hui, des hommes envieux & jaloux, qui, dit-il, étoient moins les admirateurs des anciens que les détracteurs de leur siecle[1].

Ennius disoit que les vers d’autrefois n’étoient bons que pour les Faunes & pour les oracles ; pour moi loin de refuser à l’antiquité la justice qui lui est dûe, je l’estime plus en ce qu’elle possède, que je ne la blâme en ce qui lui manque[2]. Il y a sans doute dans les écrits des anciens quelques étincelles, quelques germes de vérités que l’instruction allume ou qu’elle développe ; mais à l’égard de ces vûes, de ces idées si lumineuses, de ces connoissances si précises qu’on leur prête, & auxquels on prétend que


    Hos itaque,(scilicet Telesium, Fracastorium, Cardanum, & Gilbertum) & si qui sunt, aut erunt horum similes, antiquorum turbæ aggregandos, unam enim eamdemque omnium rationem haberi. Esse nimirum homines secundum pauca pronuntiantes, & naturam leviter attingentes, nec ita se illi immiscentes, ut aut contemplationum veritatem, aut operum utilitatem assequi possint. Credere enim ex tot philosophiis, per tot annorum spatia elaboratis & cultis, ne unum quidem experimentum adduci posse, quod ad hominum statum levandum, aut locupletandum spectet, & hujusmodi speculationibus vere acceptum referri possit… Et qualemcumque ipse opinionem de illis seculis habeat, talem ad id quod agitur, non plus interesse putare, utrum quæ jam inveniuntur, antiquis cognita, & per rerum vicissitudines occidentia, & orientia sint ; quam hominibus curæ esse debere, utrum novus orbis fuerit insula illa Atlantis & veteri mundo cognita, an nunc primum reperta. Rerum enim inventionem à naturæ luce petendam, non ab antiquitatis tenebris repetendam esse. Francis. Baconcogitata & visa de interpretat. natur.pp.112, 113 & 114 ; opp. tom. 5, édit. Lond. 1778.

    On peut voir aussi l’aphorisme 122 du novum organum dans lequel Bacon s’exprime à-peu-près de la même maniere sur l’inutilité des recherches de M. Dutens. Il paroît même qu’en général ce grand homme faisoit assez peu de cas de la philosophie ancienne, & qu’il n’en croyoit pas l’étude fort nécessaire à ceux qui ne veulent pas perdre en vains raisonnemens sur l’homme & sur la nature, un tems qu’ils peuvent employer plus utilement à étudier l’un & à observer l’autre.

  1. Ingeniis non ille favet, plauditque sepultis :
    Nostra sed impugnat, nos nostraque lividus odit.
    Lib. 2, epist. 1.
  2. C’est à-peu-près le jugement qu’en portoit Cicéron relativement au nombre & à l’harmonie oratoires. Nec ego id, dit-il, quod deest antiquatati, flagito potius, quam laudo, quod est ; præsertim quum ea majora judicem, quæ sunt, quad illa quæ desunt.