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ARI ARI 237

vint un cabinet pour lui, où il travailloit autant, & avec plus de fruit, que certains savans qui croiroient perdre leur temps s’ils voyoient quelquefois le jour.

De retour dans sa patrie on le nomma professeur ; car les grands ne se croyoient pas alors déshonorés en prouvant qu’ils en savoient plus que les autres. Il fut ensuite professeur à Bologne, d’où il fut transféré à Pise ; par-tout il soutint sa réputation qui étoit fort grande.

Il entreprit de donner au public le neuvième & le dixième livre de la politique d’Aristote, qui sont perdus. Ils ne sont peut-être pas de la force de ceux qui sont sortis de la plume d’Aristote ; mais on peut dire qu’il y a de la finesse dans ses réflexions, de la profondeur dans ses vues, & de l’esprit serré dans tout son livre. Or, dans ce temps-là, l’esprit étoit beaucoup plus rare que le savoir ; & je suis persuadé que tels qui brilloient alors, ne pourroient pas écrire deux lignes aujourd’hui ; il faut allier la science avec l’esprit.

André Césalpin & César Crémonin se rendirent fort illustres dans leur siècle. Il est aisé de fixer les yeux de tout le monde sur soi-même, en écrivant contre la religion, & sur-tout, lorsqu’on écrit avec esprit ; on voit que tout le monde s’enpresse à acheter ces livres ; on diroit que les hommes veulent se venger de la gêne où les tient la religion & qu’on est bien aise de voir attaquer des préceptes qui sont les ennemis de toutes les passions de l’homme.

Césalpin passa pour impie, & non sans raison : jamais personne n’a fait moins de cas des vérités révélées. Après les études ordinaires, il prit la résolution de devenir habile dans la médecine & dans la philosophie d’Aristote. Son génie perçant & facile lui fit faire des progrès rapides dans ces deux sciences. Sa vaste erudition couvrit un peu la tache d’impiété dont il étoit accusé ; car le Pape Clément VIII le fit son premier médecin, & lui donna une chaire de médecine au collége de Sapience : ce fut-là qu’il fit connoître toute sa sagacité. Il se fit un grand nom par les différens ouvrages qu’il donna, & sur-tout par la découverte de la circulation du sang ; car il paroît en cela avoir prévenu Harvei. La justice demande que nous rapportions sur quoi on se fonde pour disputer à Harvei la gloire de cette découverte. Voici comme parle Césalpin :

Idcirco pulmo hauriens sanguinem, eumque per anastomosim arteria venali reddens que in finisium cordis ventriculum tendit, tranfmisso interim aere frigido per aspera arteria canales, qui juxta arterium venalem protenduntur, non tamen communicantes, ut putavit Galenus, folo tactu temperat. Huic sanguinis circulationi ex dextro cordis ventriculo per pulmones in sinistrum ejusdem ventriculum, optime respondent ta que in dissectione apparent : nam duo sunt vasa in dextrum ventriculum definentia, duo etiam in sinistrum ; duorum autem unum intromissit tantum, alterum educit, membranis eo ingenio constituit.

Je laisse aux médecins à juger si ces paroles ne prouvent pas que Césalpin a connu la circulation du sang. La philosophie est ce qui nous intéresse le plus dans la personne de Césalpin ; puisque c’est ici de la philosophie seulement qu’il s’agit.

Il s’étoit proposé de suivre Aristote à la rigueur ; aucun commentateur n’étoit une autorité suffisante pour lui. Heureux s’il avoit pu secouer celle d’Aristote même ! mais il étoit donné à la France de produire ce génie qui devoit tirer d’esclavage tous les esprits du monde.

Lorsqu’il trouvoit quelque chose dans Aristote qui lui paroissoit contraire aux dogmes de la religion chrétienne, cela ne l’arrêtoit point : il poursuivoit toujours son chemin, & laissoit aux théologiens à se tirer de ce mauvais pas. Il paroît même qu’il a prévenu Spinosa dans plusieurs de ses principes impies : c’est ce qu’on peut voir dans ses questions péripatéticiennes sur les premiers principes de la philosophie naturelle.

Non-seulement il a suivi les impiétés d’Aristote ; mais on peut dire de plus qu’il a beaucoup enchéri sur ce philosophe. Voilà pourquoi plusieurs personnes distinguées dans leur siècle par leur mérite, l’ont accusé d’athéisme.

Nous allons dire en peu de mots ce qui doit être repris dans Césalpin. Il faut auparavant se rappeller ce que nous avons dit sur le systême de la physiologie d’Aristote ; car sans cela, il seroit difficile de nous suivre.

Pour mieux faire avaler le poison, il prenoit un passage d’Aristote, & l’interprétoit à sa façon, lui faisant dire ce qu’il vouloit ; de sorte qu’il prêtoit souvent à ce philosophe ce qu’il n’avoit jamais pensé. On ne peut lire sans surprise ce qu’il dit de Dieu & de l’ame humaine ; car il a furpassé en cela les impiétés & les folies d’Averroès.

Selon Césalpin, il n’y a qu’une ame dans le monde qui anime tous les corps & Dieu même ; il paroît même qu’il n’admettoit qu’une seule substance : cette ame, selon lui, est le Dieu que nous adorons ; & si on lui demande ce que sont les hommes, il vous dira qu’ils entrent dans la composition de cette ame.

Comme Dieu est un & simple (car tout cela se