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lancthon qui étoit, comme je l’ai déja dit, d’un caractère fort doux, c’est lorsqu’il vit pour la première fois les disputes des différentes sectes ; alors celles des nominaux & des réaux fermentoient beaucoup : après plusieurs mauvaises raisons de part & d’autre, & cela parce qu’on n’en sauroit avoir de bonnes là-dessus, les meilleurs poignets restoient victorieux ; tous d’un commun accord dépouilloient la gravité philosophique, & se battoient indécemment : heureux si dans le tumulte quelque coup bien appliqué avoit pu faire un changement dans leur tête : car si, comme le remarque un homme d’esprit, un coup de doigt d’une nourrice pouvoit faire de Pascal un sot, pourquoi un trépané ne pourroit-il pas devenir un homme d’esprit ? Les accoucheurs de ce temps-là n’étoient pas, sans doute, si habiles qu’à présent, & je crois que le long triomphe d’Aristote leur est dû.

Mélancthon fut appellé par l’électeur de Saxe pour être professeur en grec. L’erreur de Luther faisoit alors beaucoup de progrès ; Mélancthon connut ce dangereux hérésiarque ; & comme il cherchoit quelque chose de nouveau, parce qu’il sentoit bien que ce que l’on lui avoit appris n’étoit pas ce qu’il falloit savoir, il avala le poison que lui présenta Luther ; il s’égara.

C’est avec raison qu’il cherchoit quelque chose de nouveau : mais ce ne devoit être qu’en philosophie : la religion, il en vrai, demandoit aussi un changement, mais on ne fait point une nouvelle religion comme on fait un nouveau systême. Il faut y accoutumer peu-à-peu les esprits, & ils n’étoient pas préparés. D’ailleurs la réforme de Luther n’est que partielle ; elle laissoit subsister des dogmes & des abus aussi absurdes que ceux qui le choquoient ; & sottises pour sottises, il valoit autant admettre les anciennes que les nouvelles : quand on croit l’impanation , on n’a pas le droit de rejetter la transubstantiation &c.

Mélancthon, depuis sa connoissance avec Luther, devint sectaire & un sectaire ardent, & par conséquent son esprit fut enveloppé du voile de l’erreur ; ses vues ne purent plus s’étendre comme elles auroient fait s’il ne s’étoit pas livré à un parti : il préchoit, il catéchisoit, & enfin il n’abandonna Aristote en quelque chose, que pour suivre Luther, qui lui étoit d’autant moins préférable qu’il attaquait plus formellement la religion.

Luther répandit quelques nuages sur l’esprit de Mélancthon, à l’occasion d’Aristote : car il ne rougit pas après les leçons de Luther, d’appeller Aristote un vain sophiste : mais il se réconcilia bientôt ; & malgré les apologies qu’il fit du sentiment de Luther, il contribua beanceup à rétablir la philosophie parmi les protestans. Il s’apperçut que Luther condamnoit plutôt la scholastique que la philosophie : ce n’étoit pas, en effet, aux philosophes que cet hérésiarque avoit à faire, mais aux théologiens, & il faut avouer qu’il s’y étoit biens pris en commençant par rendre leurs armes odieuses & méprisables.

Mélancthon détestoit toutes les autres sectes der philosophes, le seul péripatétisme lui paroissoit soutenable ; il rejettoit également le stoïcisme, le scepticisme & l’épicurisme. Il recommandoit à tout le monde la lecture de Platon, à cause de l’abondance qui s’y trouve, à cause de ce qu’il dit sur la nature de Dieu & de la belle diction, mais il préférait Aristote ponx l’ordre & pour la méthode.

Il écrivit la vie de Platon & celle d’Aristote ; on pourra voir aisément son sentiment en les lisant : je crois qu’on ne sera pas fâché que je transcrive ici quelques traits tirés de ses harangues, elles sont rares ; & d’ailleurs on verra de quelle façon s’exprimoit cet homme si fameux, & dont les discours ont fait tant d’impression :

Cum eam, dit-il, quam toties Plato predicat methodum, non sapè adhibeat, & evagetur aliquando liberius in disputando, quadam etiam figuris involvat, ac volens occultet, denique cum raro pronuntiet quid sit sentiendum ; assentior adolescentibus potius proponendum esse Aristotelem, qui artes, quas tradit, explicat integras, & methodum simpliciorem, seu filum ad regendum lectorem adhibet, & quid sit sentiendum plerumque pronuntiat : hac in docentibus ut requirantur multa causa graves sunt, ut enim satis dentibus draconis a cadmo seges exorta est armatorum, qui inter se ipsi dimicarunt ; ita, si quis sera ambiguas opiniones, exoriuntur inde varia ac perniciosa dissensiones.

Et un peu après il dit qu’en se servant de la méthode d’Aristote, il est ficile de réduire ce qui dans Platon seroit extrêmement long.

Aristote, nous dit-il ailleurs, a d’autres avantages sur Platon ; il nous a donné un cours entier ; ce qu’il commence, il l’achève : il reprend les choses d’aussi haut qu’on puisse aller, & vous mène fort loin. Aimons, conclut-il, Platon & Aristote ; le premier à cause de ce qu’il dit sur la politique, & à cause de son élégance ; le second à cause de sa méthode : il faut pourtant les lire tous les deux avec précaution, & bien distinguer ce qui est contraire à la doctrine que nous lisons dans l’évangile.

Nous ne saurions nous passer d’Aristote dans l’église, dit encore Mélancthon, parce que c’est le seul qui nous apprenne à définir, à diviser & à juger ; lui seul nous apprend même à raisonner :