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B.


Bacchionites, (hist. de la philos. anc.) C’étoient, à ce qu’on dit, des philosophes qui avoient un mépris si universel pour les choses de ce bas monde, qu’ils ne se réservoient qu’un vaisseau pour boire : encore, ajoute-t-on, qu’un d’entr’eux ayant apperçu dans les champs un berger qui puisoit dans un ruisseau de l’eau avec le creux de sa main, il jetta loin de lui sa tasse, comme un meuble incommode & superflu. C’est ce qu’on raconte aussi de Diogène. S’il y a eu jamais des hommes aussi désintéressés, il faut avouer que leur métaphysique & leur morale mériteroient bien d’être un peu plus connue. Après avoir banni d’entr’eux les distinctions funestes du tien & du mien, il leur restoit peu de choses à faire pour n’avoir plus aucun sujet de querelles, & se rendre aussi heureux qu’il est permis à l’homme de l’être. [ En effet c’est le tien & le mien qui rend l’homme méchant : rendez les biens & les femmes communes, & tâchez de découvrir l’origine de quelque vice ].

BACONISME ou Philosophie de Bacon, (histoire de la philosophie mod.). Nous tâcherons, dans cet article, de faire de la philosophie du chancelier Bacon, un exposé qui puisse en donner au lecteur une idée très-exacte & sur-tout aussi grande que celle que nous en avons conçue nous-mêmes en lisant plusieurs fois ses ouvrages. Mais avant de nous occuper de cette importante analyse, nous croyons devoir faire connoître plus particulièrement & par quelques détails de sa vie publique cet homme d’un génie extraordinaire & original, à qui les sciences, & en général l’esprit humain ont de si grandes obligations, & qui, malgré les foiblesses & les taches qui déparent quelques lignes de son histoire, joint à des titres incontestables de célébrité, la gloire d’avoir bien connu, & d’avoir même tracé d’une main hardie & sûre, la route que Boyle, Locke & Newton devoient suivre un jour dans la carrière des sciences pour en perfectionner successivement les différentes parties, & en reculer sensiblement les limites.

Si ce précis historique dans lequel il nous est si facile d’être justes, placés à la distance où nous sommes de Bacon, nous force souvent d’admirer en lui le savant, l’écrivain éloquent, le penseur profond, il faut avouer que l’homme s’y montre quelquefois sous un aspect moins favorable ; mais ses fautes, ses défauts même que nous ne devons ni dissimuler ni exagérer, serviront du moins à consoler l’envie que les qualités éminentes affligent d’ailleurs si cruellement, & reconcilieront en quelque sorte ce philosophe avec les autres hommes pour lesquels le sentiment de la supériorité d’un de leurs semblables est ordinairement si pénible, & à qui il en coûte beaucoup moins d’efforts pour pardonner de grands vices que pour louer dignement & de bonne foi de grands talens & de grandes vertus.

François Bacon, grand chancelier d’Angleterre, sous le roi Jacques premier, naquit à l’hôtel d’Iorck, dans le Strand, le 22 janvier 1561. S’il fut heureux de naître dans un siècle où les grands cultivoient les arts & les sciences autant qu’ils les négligent aujourd’hui, il apporta de son côté une aptitude singulière pour toutes sortes de connoissances utiles & agréables. Bien différent de ces savans qui se traînent servilement sur les pas de ceux qui les ont précédés, & qui semblent craindre de penser & de raisonner d’après leurs propres observations, il sembla né pour donner le ton & la loi dans l’empire des sciences, & pour être le précepteur de son siècle & des siècles suivans.

Il entra au collége de la Trinité, en 1573, à l’âge de douze ans : il y fit des progrès si rapides, qu’il eut achevé le cours de ses études, telles qu’on les faisoit dans ce tems-là, avant sa seizième année ; mais ce qui doit surprendre davantage, dès ce tems même, il commença à entrevoir le vide & l’inutilité de la philosophie qui régnoit alors, & il conjectura que l’édifice des connoissances utiles devoit être bâti sur d’autres fondemens & avec d’autres matériaux que ceux que l’on employoit depuis plusieurs siècles : il ne dut cette découverte qu’à son génie, & à son discernement singulier.

Qu’on se transporte dans le tems dont nous parlons, on sentira quelle supériorité d’esprit, & quel courage il falloit pour vaincre seul, & sans guide, les obstacles qu’apportoit à cette grande découverte un préjugé général. Aristote avoit une autorité despotique dans les écoles, où ses décisions étoient reconnues infaillibles en matière de raisonnement.

Notre auteur fut le premier, & le grand réformateur de la philosophie, tout le fatras aristotélique qui n’étoit que le voile de l’ignorance, céda bientôt la place au véritable savoir ; Bacon eut à combattre des préjugés devenus respectables