Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p1, A-B.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet orateur philosophe. C’est de ces deux excellentes sources qu’ont été tirés les matériaux de cet article qui nous a été envoyé avec plusieurs autres d’ancienne philosophie, par M. Roland de Croissy, auquel nous nous empressons d’en témoigner ici notre reconnoissance, & que nous aurons grand soin de nommer toutes les fois que nous ferons usage des articles qu’il nous a fait remettre, & qu’il destinoit à l’Encyclopédie méthodique.

ACADÉMICIENS (Philosophie des ). Hist. de la philos. anc.

Les différentes sectes de philosophie se réduisent nécessairement & en dernière analyse à trois ; celle des dogmatistes, celle des académiciens, & celle des sceptiques. Cette division des anciens philosophes est très-exacte ; elle résulte même de la nature de l’entendement humain, & l’on ne peut imaginer aucune nouvelle méthode de philosopher, qui ne se rapporte à l’une de ces trois sectes si distinctes, & qui n’en suppose plus ou moins explicitement les principes : en effet, comme l’observe très-bien Sextus Empiricus, « les uns disent qu’ils ont trouvé la vérité, les autres disent qu’elle est incompréhensible, & les autres continuent à la chercher ».

Alii quidem verum se invenisse dixerunt ; alii autem id esse ejusmodi, quod comprehendi non posset, pronunciarunt ; alii verò quarere pergunt. (Pyrrhon. hypotyp. lib. 1, cap. 1, sect. 2).

Le même esprit s’est conservé parmi les modernes, mais avec les restrictions & les modifications que le progrès des lumières a dû successivement y apporter ; car il faut avouer que le nombre des vérités précises, connues avec certitude dans chaque science, s’est fort accru depuis Socrate & Platon, que plusieurs des difficultés dont les académiciens & les pyrrhoniens accabloient les dogmatiques, n’auroient pas aujourd’hui la même force, & que celles même qui ne paroîtroient pas puériles, seroient, en général, assez faciles à résoudre, à l’aide de nos connoissances &, si j’ose le dire, de nos méthodes & de nos instrumens. Il reste certainement dans l’état actuel des sciences, & malgré les efforts réunis & continuels de tant d’hommes de génie qui les cultivent avec succès depuis la renaissance des lettres, une infinité de faits obscurs, d’autres incertains & sur lesquels tout bon esprit doit encore suspendre son jugement ; d’autres enfin, qu’il doit se résoudre à ignorer encore long-tems & peut-être toujours. Le doute est donc non seulement permis, il est même utile, nécessaire & très-conforme aux principes de la saine philosophie : mais ce doute a sa limite plus ou moins variable, plus ou moins circonscrite ; il ne s’étend pas indistinctement sur tous les objets de nos connoissances, comme le prétendoient les sceptiques, moins à mon sens par l’effet d’une intime & forte persuasion, que par le desir de contredire les dogmatiques, d’humilier leur amour propre, & de les forcer à tempérer la hardiesse & la témérité de leurs assertions. Un homme qui seroit aujourd’hui sceptique au sens rigoureux de Pyrrhon, sur les mêmes questions & par les mêmes principes de logique & d’argumentation, seroit regardé avec raison comme un fou ou comme un menteur. Mais cet ancien scepticisme qui, à beaucoup d’égards, seroit de nos jours une philosophie d’enfant, n’étoit pas autrefois sans quelque fondement ; & quoique ses défenseurs donnassent souvent trop d’importance à des argumens frivoles & à de vaines subtilités, on ne peut nier, en général, qu’il n’ait fort contribué aux progrès des lumières, soit en accoutumant insensiblement les esprits dans la difpute à définir avec plus de précision les termes, à examiner les objets sous toutes leurs faces, à ne donner leur assentiment qu’à des notions évidentes, à distinguer les nuances qui séparent le vrai du vraisemblable, la certitude de la probabilité, soit enfin en rendant les dogmatiques plus circonspects, moins décisifs & plus exacts à marquer sur chaque objet de nos connoissances, le terme où finit la science, & où commence l’opinion.

On peut regarder Socrate comme le fondateur de l’académie, c’est-à-dire, comme le premier qui introduisit dans les matières philosophiques cette méthode de douter de tout, & de raisonner sans rien affirmer positivement, se contentant de réfuter les autres, avouant d’ailleurs en toute occasion qu’il ne savoit rien, & renfermant sa science dans un seul article[1]. Cependant Socrate n’étoit, à proprement parler, ni académicien, ni sceptique, ni dogmatique absolu. Sa méthode de philosopher tenoit plus ou moins du caractère & de l’esprit particulier de chacune de ces sectes, selon le degré d’évidence ou d’obscurité des matières qu’il traitoit, la force & la subtilité des adversaires qu’il avoit à combattre, ou plutôt selon la manière dont il plaisoit à Pla-

  1. Hic in omnibus ferè sermonibus, qui ab iis, qui illum audierunt, perscripti varie, copiosè sunt, ita disputat, ut nihil adfirmet ipse, refellat alios, nihil se scire dicat, nisi id ipsum : eoque præstare ceteris, quod illi quæ nesciant scire se putent ; ipse se nihil scire, id unum sciat : ob eamque rem se arbitrari ab Apolline omnium sapientissimum esse dictum quod hæc esset una hommis sapientia non arbitrari sese scire quod nesciat. Cicer. academ. lib. 1, cap. 4.

    Ciceron dit ailleurs, en parlant de Socrate et de Platon : an de ullis certiùs possum dicere ? Vixisse cum his equidem videor : ita multi sermones perscripti sunt, e quibus dubitari non possit, quin Socrati nihil sit visum sciri posse. Excepit unum tantum, scire se, nihil se scire : nihil amplius. Academ. lib. 2, cap. 23.