Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p1, A-B.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon sens des nations européennes, & même la religion la plus sainte.

Ce fut sous cette ténébreuse époque que ces mêmes préjugés théocratiques, qui avoient infecté les anciens gouvernemens, entreprirent de s’assujettir aussi les monarchies nouvelles & que sous mille formes différentes ils en furent tantôt les fléaux & tantôt les corrupteurs. Mais à quoi sert de rappeller un âge dont nous détestons aujourd’hui la mémoire & dont nous méprisons les faux principes ? qu’il nous serve seulement à montrer que les monarchies n’ont pu être troublées que par des vices étrangers sortis du sein de la nature calme & paisible. Elles n’ont eu de rapport avec les théocraties, filles de fausses terreurs, que par les maux qu’elles en ont reçus. Seules capables de remplir l’objet de la science du gouvernement, qui est de maintenir les hommes en société, & de faire le bonheur du monde, les monarchies y réussiront toujours en rappellant leur esprit primitif pour éloigner les faux systêmes ; en s’appuyant sur une police immuable, & sur des loix inaltérables, afin d’y trouver leur sûreté & celle de la société, & en plaçant entre la raison & l’humanité, comme en une bonne & sure garde, les préjugés théocratiques, s’il y en a qui subsistent encore. Du reste, c’est le progrès des connoissances qui, en agissant sur les puissances & sur la raison publique, continuera de leur apprendre ce qu’il importe pour le vrai bien de la société : c’est à ce seul progrès, qui commande d’une façon invisible & victorieuse à tout ce qui pense dans la nature, qu’il est réservé d’être le légistateur de tous les hommes, & de porter insensiblement & sans effort des lumières nouvelles dans le monde politique, comme il en porte tous les jours dans le monde savant.

Nous croirions avoir omis la plus intéressante nos observations, & avoir manqué à leur donner le degré d’autenticité dont elles peuvent être susceptibles, si après avoir suivi & examiné l’origine & les principes des divers gouvernemens, nous ne finissions point par faire remarquer & admirer quelle a été la sagacité d’un des grands hommes de nos jours, qui, sans avoir considéré l’origine particulière de ces gouvernemens, qu’il auroit cependant encore mieux vu que nous, a commencé par où nous venons de finir, & a prescrit néanmoins à chacun d’eux son mobile convenable & ses loix. Nous avons vu que les républiques avoient pris pour modele l’âge d’or de la théocratie, c’est-à-dire le ciel même ; c’est la vertu, dit M. de Montesquieu, qui doit être le mobile du gouvernement républicain. Nous avons vu que le despotisme n’avoit cherché qu’à représenter le monarque exterminateur de la théocratie des nations ; c’est la crainte, a dit encore M. de Montesquieu, qui doit être le mobile du despotisme. C’est l’honneur, a dit enfin ce législateur de notre âge, qui doit être le mobile de la monarchie ; & nous avons reconnu en effet que c’est ce gouvernement raisonnable fait pour la terre, qui laissant à l’homme tout le sentiment de son état & de son existence, doit être soutenu & conservé par l’honneur qui n’est autre chose que le sentiment que nous avons tous de la dignité de notre nature. Quoi qu’aient donc pu dire la passion & l’ignorance contre les principes du sublime auteur de I’esprit des loix, ils sont aussi vrais que sa sagacité a été grande pour les découvrir & en suivre les effets sans en avoir cherché l’origine. Tel est le privilege du génie, d’être seul capable de connoître le vrai d’un grand tout, lors même que ce tout lui est inconnu, ou qu’il n’en considere qu’une partie.

(Cet article, presqu’entierement extrait des papiers de Boulanger, est de M. Naigeon.)

BRA

BRACHMANES, s. m. pl. (Hist. de la Philos. anc.) Gymnosophistes ou philosophes indiens, dont il est souvent parlé dans les anciens. Ils en racontent des choses fort extraordinaires, comme de vivre couchés sur la terre ; de se tenir toujours sur un pied ; de regarder le soleil d’un œil ferme & immobile depuis son lever jusqu’à son coucher ; d’avoir les bras élevés toute leur vie ; de se regarder sans cesse le bout du nez, & de se croire comblés de la faveur céleste la plus insigne, toutes les fois qu’ils y appercevoient une petite flamme bleue. Voilà des extravagances tout-à-fait incroyables ; & si ce fut ainsi que les brachmanes obtinrent le nom de sages, il n’y avoit que les peuples qui leur accorderent ce titre qui fussent plus fous qu’eux. On dit qu’ils vivoient dans les bois, & que les relâchés d’entre eux, ceux qui ne visoient pas à la contemplation béatifique de la flamme bleue, étudioient l’Astronomie, l’histoire de la nature, & la politique, & sortoient quelquefois de leurs deserts pour faire part de leurs contemplations aux princes & aux sujets. Ils veilloient de si bonne heure à l’instruction de leurs disciples, qu’ils envoyoient des directeurs à la mere, si-tôt qu’ils apprenoient qu’elle avoit conçû ; & sa docilité pour leurs leçons étoit d’un favorable augure pour l’enfant. On demeuroit trente-sept ans à leur école, sans parler, tousser, ni cracher ; au bout de ce tems, on avoit la liberté de mettre une chemise, de manger des animaux, & d’épouser plusieurs femmes ; mais à condition qu’on ne leur révéleroit rien des préceptes sublimes de la gymnosophie. Les brachmanes prétendoient que la vie est un état de conception, & la mort le moment de la naissance ; que l’ame du philosophe détenue dans son corps, est dans l’état d’une chrysalide, & qu’elle se débarrasse à l’instant du trépas, comme