Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/1

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
C.



CAMPANELLA, (Philosophie de) hist. de la Philos. mod.

Thomas Campanella a été un de ces hommes équivoques dont on a dit beaucoup de bien & beaucoup de mal : mais les passions exagèrent tout, & ne donnent que des notions fausses des personnes & des choses : Il faut se défier également des jugemens favorables ou contraires qu’elles prononcent. La vérité tient le milieu entre ces extrêmes : nous allons tâcher de la trouver.

Notre philosophe naquit à Stilo, village de Calabre, le 5 septembre 1568. Il s’attacha à l’étude dès sa plus tendre enfance, & y fit des progrès rapides qui néanmoins ne produisirent pas ce qu’ils sembloient annoncer, parce que Campanella ne rencontra pas des instituteurs qui répondirent par leurs soins & leur capacité aux dispositions heureuses qu’il montroit. (Voyez les premières colonnes de l’art. Boulanger).

Dès l’âge de 14 ans il entra dans l’ordre de S. Dominique & en prit l’habit. Il ne pouvoit s’accommoder de cet esprit de servitude qui régnoit alors dans les écoles, où il n’étoit pas permis de penser autrement qu’Aristote, & ou l’on respectoit beaucoup plus l’autorité de ce philosophe que celle de la raison. Il commença donc à révoquer en doute la doctrine de ses maîtres & il la trouva fausse dans un si grand nombre d’articles, qu’il tomba dans une espèce de pyrrhonisme qui lui faisoit douter des faits les plus incontestables : il avoue lui-même qu’il avoit douté s’il y avoit jamais eu de Charlemagne dans le monde : on peut appeller ce doute l’extrême du pyrrhonisme historique.

Campanella réfolut de ne s’attacher à aucun auteur en particulier mais de profiter de ce qu’il trouveroit de bon dans chacun : cette manière d’étudier les anciens & les modernes, valoit bien celle des colléges & des universités ; & si Campanella avoit eu une imagination moins exaltée, & sur-tout un jugement plus droit, il auroit pu rendre de grands services aux sciences.

On l’a appellé le singe de Cardan ; simia Cardani ; mais en cela même on lui a fait beaucoup trop d’honneur : Cardan, malgré toutes ses extravagances, étoit un homme de génie ; la trace des pas hardis & difficiles qu’il a faits dans les sciences se voit encore ; & Campanella n’a laissé aucun vestige des siens. (Voyez Cardan) (philosophie de). Si Brucker avoit eu une mesure plus juste du mérite de ceux dont il a écrit l’histoire, il n’auroit pas dit que Campanella ne ressembloit pas seulement à Cardan par la force de tête, mais qu’il en avoit aussi les défauts : non virtutibus modo intellectus, sed navis quoque Cardano omnino similis est. Il y plus de sagacité plus de profondeur & d’étendue d’esprit dans quelques pages de l’ars magna de Cardan, que dans tous les ouvrages de Campanella réunis & pressés, pour ainsi dire, jusqu’à la dernière goutte : & rien ne doit paroître plus ridicule à ceux qui ont lu avec attention le traité de Cardan, cité ci-dessus, que de voir Brucker mettre sur la même ligne un homme qui a mérité le titre d’inventeur dans une des sciences les plus utiles & les plus difficiles à perfectionner, & l’auteur presque inconnu d’une foule d’ouvrages oubliés depuis long-tems, & dans lesquels il n’y a pas trente pages que l’on puisse lire avec fruit, & pas une seule sur laquelle on soit tenté de revenir après l’avoir lue. Brucker a remarqué quelques-uns des points dans lesquels Campanella & Cardan semblent se toucher : mais il n’a pas apperçu l’intervalle qui les sépare à d’autres égards ; & c’est néanmoins cette distance qu’il falloit déterminer pour donner une idée exacte du talent de ces deux philosophes, puisqu’on est convenu de les appeller ainsi ; pour faire connoître le caractère très-divers de leur esprit, & sur-tout pour les mettre chacun à leur vraie place. Mais il paroît que Brucker n’avoit pas même lu le livre de Arte magna, du moins il ne le cite dans aucun endroit de son article de Cardan, article d’ailleurs très-mal fait, & qui n’apprend rien, ainsi que beaucoup d’autres du même auteur. Ce seul exemple suffit pour prouver combien il faut se défier des jugemens de ce compilateur, & même de la fidélité de ses recueils. Il est bien rare qu’on remonte aux sources où il a puisé, sans le trouver coupable de quelque omission, de quelque faute plus ou moins grave, & sans regretter qu’un sujet aussi intéressant que l’histoire critique de la philosophie ait été traité par un écrivain superstitieux, & beaucoup plus digne de recueillir avec respect toutes les sottises de la théologie ancienne & moderne, que de faire l’histoire raisonnée des progrès de l’esprit humain.