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qu’il place Campanella qui avoit été son ami dans son catalogue des athées : mais j’ose dire que c’est en quelque sorte prostituer ce nom que de le donner à un moine fanatique, sérieusement occupé des rêveries des anciens théurgistes, des prétendus mystères de la cabale, & bien plus fait pour croire à toutes ces vieilles extravagances, que pour penser avec cette profondeur que suppose l’opinion qu’on lui attribue, & pour réformer la philosophie, comme il en avoit le projet & comme il s’y croyoit destiné. Il suffit d’ailleurs de lire sa république du soleil (civitas solis) où il établit l’unité de Dieu, le culte du soleil & des astres, & la communauté des femmes, pour se convaincre qu’il y a bien loin de ces sentimens à ceux d’un athée tel qu’on le suppose. Mais ce qui prouve sur-tout que son athéismus triomphatus est bien plutôt l’ouvrage d’un superstitieux que d’un athée, c’est qu’on y trouve jusqu’à la doctrine étrange des millénaires. « À la honte des impies, dit-il, dans le chapitre 15, j’attens sur la terre un prélude du paradis céleste, un siècle d’or plein de bonheur, duquel seront exclus les incrédules qui se moquent de la piété, avec un fouet fait des cordes des créatures, comme parle sainte-Catherine de Sienne ». Ad impiorum opprobrium praestolor etiam in terra preludium paradisi celestis, aureum seculum, felicitate plenum, à quo facto iterum flagello de funiculis creaturarum, ut inquisit Catherina Senensis, excludentur increduli derisores pietatis.

L’exposé que nous venons de faire des différentes opinions de Campanella, suffit, ce me semble, pour en donner au lecteur une idée générale assez exacte. Nous allons présentement rapporter ce que Descartes pensoit de la manière de philosopher de cet auteur. Son jugement est ici d’un grand poids ; & c’est d’ailleurs la meilleure apologie que nous puissions faire de celui que nous avons porté nous-mêmes dans le cours de cet article des ouvrages & du caractère d’esprit de notre dominicain.

« Vous avez sujet, dit Descartes, de trouver étrange que votre Campanella ait tant tardé à retourner vers vous ; mais il est déja vieil, & ne peut plus aller fort vîte. En effet, bien que je ne sois pas éloigné de la Haye de cent lieues, il a néanmoins été plus de trois semaines à venir jusqu’ici, où m’ayant trouvé occupé à répondre à quelques objections qui m’étoient venues de diverses parts, j’avoue que son langage & celui de son allemand, qui a fait sa longue préface, m’a empêché d’oser converser avec eux, avant que j’eusse achevé les dépêches que j’avois à faire, crainte de prendre quelque chose de leur style. Pour la doctrine, il y a quinze ans que j’ai vu le livre de sensu rerum du même auteur, avec quelques-autres traités, & peut-être que celui-ci en étoit du nombre ; mais j’avois trouvé dès-lors si peu de solidité en ses écrits, que je n’en avois rien du tout gardé en ma mémoire & maintenant je ne saurois en dire autre chose, sinon que ceux qui s’égarent en affectant de suivre des chemins extraordinaires, me semblent bien moins excusables que ceux qui ne faillent qu’en compagnie, & en suivant les traces de beaucoup d’autres ».

Ce n’est point ici une de ces critiques précipitées telles qu’il en échappe dans une lettre écrite rapidement, & qu’on n’a pas le tems de méditer ; car le père Mersenne ayant offert quelque tems après à Descartes, de lui prêter un ouvrage de Campanella, Descartes lui répondit : « ce que j’ai vu autrefois de Campanella ne me permet pas de rien espérer de bon de son livre, & je vous remercie de l’offre que vous me faites de me l’envoyer ; car je ne desire nullement de le voir ». (Lettres de Descartes, tom. 4. p. 342). Voyez aussi la lettre 54 du même volume pag. 283. Ces deux lettres ne sont point datées.

(Cet article est de M. Naigeon).


CANADIENS. (Philosophie des) hist. de la philosophie.


Nous devons la connoissance des sauvages du Canada au baron de la Hontan, qui a vécu parmi eux environ l’espace de dix ans. Il rapporte dans sa relation quelques entretiens qu’il a eus sur la religion avec un de ces sauvages ; & il paroit que le baron n’avoit pas toujours l’avantage dans la dispute. Ce qu’il y a de surprenant, c’est de voir un Huron abuser assez subtilement des armes de notre dialectique pour combattre la religion chrétienne ; les abstractions & les termes de l’école lui sont presqu’aussi familiers qu’à un Européen qui auroit médité sur les livres de Scot. Cela a donné lieu de soupçonner le baron de la Hontan d’avoir voulu jetter un ridicule sur la religion dans laquelle il avoit été élevé, & d’avoir mis dans la bouche d’un sauvage les raisons dont il n’auroit osé se servir lui-même.

La plupart de ceux qui n’ont ni vu ni entendu parler des sauvages, se sont imaginé que c’étoient des hommes couverts de poil, vivant dans les bois sans société comme des bêtes, & n’ayant de l’homme qu’une figure imparfaite : il ne paroit pas même que bien des gens soient revenus de cette idée. Les sauvages, à l’exception des cheveux & des sourcils que plusieurs même ont soin d’arracher, n’ont aucun poil sur le corps ; car s’il arrivoit par hazard qu’il leur en vînt quelqu’un, il se l’ôteroient d’abord jusqu’à la racine. Ils naissent blancs comme nous ; leur nudité & huiles dont ils se graissent, & les différentes cou-

leurs