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une vaste lecture, & une grande érudition ; mais c’est aussi le seul éloge qu’un lecteur équitable ne peut lui refuser légitimement. Il ne paroît pas, au reste, qu’il ait eu, ni assez de droiture pour chercher la vérité, ni assez de discernement pour la trouver. Autant que je puis en juger, il écrivoit dans la vûe de faire sa cour à quelques maisons, & à quelques villes célèbres, en leur attribuant une ancienneté qu’elles n’avoient certainement point. Comme ce qu’il avance de l’empire des Gaulois est faux & insoutenable, ce qu’il dit de leur philosophie n’est rien moins qu’exact.

Diodore de Sicile, parlant des Druïdes, les appelle Sarvides ou Saronides, & c’est peut-être une faute de copiste. Le faux Berose a pris occasion de-là de forger un roi des Gaules, nommé Saron, qu’il fait vivre du tems du patriarche Isaac. On trouvera dans Forcadel toute l’histoire de ce prince, qui n’est autre chose qu’un roman, aussi fabuleux que les Rolands & les Amadis.

On sera bien plus surpris encore d’y voir qu’Homère a parlé de la ville de Toulouse, parce qu’on trouve dans porte le mot θοίρσα currens, dont il est facile de faire celui de Tolosa, en y ajoutant une seule lettre. Ces deux échantillons suffisent pour montrer ce que l’on doit penser du jugement de l’auteur, & du prix de son ouvrage. S’il falloit en ôter, premièrement une infinité d’épisodes mal placées, qui font perdre de vûe à tout moment ce qui devoit faire le but principal de l’auteur ; en second lieu, les fables qu’il débite sur la foi de Bérose, de Manéthon, & des autres Historiens supposés par Annius de Viterbe ; & enfin celles qu’il suppose lui-même, ou pour relever la gloire de la nation, ou dans quelque vue d’intérêt, on retrancheroit au moins les trois quarts du livre ; & ce qui resteroit, serviroit plutôt à indiquer les sources où il faut puiser, pour connoître la philosophie & la religion des Celtes, qu’à en donner une juste idée.

Philippe Cluvier a aussi parlé de la religion des Celtes, dans le traité qu’il publia en 1631, sous le titre[1] d’ancienne Germanie. Cet auteur avoit beaucoup plus de jugement que Forcadel. Son ouvrage est en lui-même très-bon, & plein de recherches curieuses. Je souhaiterois cependant, pour l’honneur de ce célèbre géographe, qu’il n’eut fait aucune mention de la religion des Germains, ou qu’au-moins il se fut contenté de rapporter ce que les anciens en avoient dit sans y mêler ses propres conjectures qui tendent, pour la plupart, à montrer que les anciens Germains ont connu non-seulement le vrai Dieu, & la création du monde, mais encore les plus augustes mystères de l’évangile. Il soutient, par exemple, que ces peuples ont eu connoissance du dogme de la trinité long-tems avant qu’il eut été révélé, mais comment prouvera-t-il cet étrange paradoxe ? Voici sa démonstration ; dont le lecteur jugera.

» Jules César a remarqué[2], que les Germains ne reconnoissoient point d’autres dieux que ceux qu’ils voyoient, & dont ils éprouvoient manifestement le secours. Le soleil, la lune & Vulcain, c’est-à-dire le feu. Voilà[3] manifestement le seul vrai Dieu, & les trois personnes de la trinité. Le soleil, c’est le père ; la lune, le fils ; & le feu, le saint-esprit ».

Cluvier s’applaudit même si fort de cette découverte, qu’il finit en disant[4] je craindrois d’ennuyer mon lecteur, si je produisois de nouvelles preuves, pour établir une vérité si claire & si lumineuse. Que peut-on attendre d’un auteur capable de prendre le change d’une manière si pitoyable ?

Il faut avouer cependant que ce géographe n’est pas le seul que l’envie de trouver par-tout les idées des juifs & des chrétiens, ait jetté dans de semblables écarts. J’aurai souvent occasion de montrer qu’il a été suivi, & quelquefois copié, par la plupart des auteurs qui ont écrit depuis[5], & qu’il n’y a pas jusqu’au chêne de Mambré, que l’on n’ait transplanté dans les Gaules, pour en faire une divinité Celtique.

On publia vers le milieu du XVII. siècle, le savant traité d’Elie Schedius, qui a pour titre, De Diis Germanis, sive de veteri Germanorum, Gallorum, Britannorum, Vandalorum religione syntag-

  1. Philippi Cluveri Germaniæ Antiquæ libri III. Lugd. Bas. 1631.
  2. Deorum numéro eos solos ducunt, quos cernunt, & quorum opibus aperte juvantur, Solem, Vulcanum, & Lunam, reliquos ne fama quidem acceperunt. Cæs. 6. 23.
  3. Priscos Germanos unum verum Deum, in Trinitate coluisse, sub Solis,Lunæ, atque Ignis nominibus. Cluver. Germ. Antiq. pag. 202.
  4. Sed plura argumenta consectari, in re tam manifesta, tam lucida & clara, molestum fuerit lectoribus, proinde finem facio. Cluv. ubi sup’’.
  5. De ce nombre sont Elie Schedius, dont il est parlé dans le paragraphe suivant, le père Lescalopier, M. Huet, évêque d’Avranche, Jurieu dans son histoire des cultes & des dogmes, l’auteur anonyme de la religion des Gaulois, & plusieurs autres.