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de l’homme, convient que dans toute la philosophie il n’y a point de question plus obscure ni plus embarrassante que celle de la liberté, & qu’il n’y a point de sujet sur lequel il règne plus de contradiction entre les savans que celui-là : il se déclare hautement contre l’idée qu’on a communément de la liberté, & en propose une nouvelle, qu’il avoue lui-même n’être pas sans difficulté.

Or comment est-il possible qu’on voie si peu clair dans une simple question de fait, où il ne s’agit, dit-on, que de consulter l’expérience ? Quelle difficulté peut-il donc y avoir à prouver une chose déjà démontrée par le sentiment intérieur ? Eh quoi, est-il besoin de tant de philosophie pour cela ? pourquoi tant de contradictions sur un pareil sujet ? & comment peut-il arriver que tous les hommes éprouvent en eux-mêmes le sentiment de la liberté, tandis qu’on avoue que l’idée qu’on a communément de la liberté, est fausse & démentie par l’expérience, tandis qu’on en propose une nouvelle inconnue jusqu’alors, ou du moins connue de peu de personnes, & qu’on se sert de l’expérience pour la prouver ? Puisqu’il règne tant d’obscurité sur cette matière, il faut sans doute que l’expérience ne décide point aussi positivement qu’on voudroit nous le faire croire en faveur de la liberté.

D’autres partisans de la liberté semblent n’avoir embrassé ce systême qu’en considération des prétendus inconvéniens attachés à celui de la nécessité. Le grand Episcopius, dans son traité du franc arbitre, reconnoît en effet que les partisans de la nécessité paroissent avoir pour eux l’expérience, & qu’ils sont en grand nombre ;[1] il ne se dissimule point la force de ce fameux argument, qu’il appelle lui-même triomphant, savoir, que la volonté est déterminée par l’entendement : il est le premier à soutenir que « si cela n’étoit point, la volonté dans l’homme seroit une faculté aveugle qui pourroit se propofer pour objet le mal comme mal, & rejetter même les choses qui lui plairoient : que par une conséquence nécessaire, il seroit aussi inutile d’user de promesses, d’insinuations, de raisonnemens & de menaces avec un homme qu’avec une pierre ou un arbre. » Il ajoute que « tout cela est fort plausible & a une grande apparence de probabilité ; » il va même jusqu’à dire que c’est là le sentiment de presque toutes les écoles. » C’est là (ajoute-t-il) l’écueil contre lequel les plus habiles défenseurs de la liberté sont venus échouer : jamais ils n’ont répondu à cet argument qui semble tiré de l’expérience, & qui a été cause (selon lui) que tant de personnes dans les siècles passés & dans le nôtre, ont admis le systême d’une nécessité fatale en toutes choses. » Mais comme un pareil systême rend toutes nos actions nécessaires, & qu’il détruit par conséquent (selon lui) la religion, les lois, les peines & les récompenses : cela lui suffit pour conclure qu’il est faux, & pour lui faire abandonner, sans autre examen, une opinion qui lui avoit paru si plausible.

Plusieurs autres défenseurs de la liberté, à l’exemple d’Episcopius, n’ont pas eu d’autres raisons pour se refuser au témoignage manifeste de l’expérience que ces mêmes difficultés imaginaires. J’en appelle hardiment à l’expérience : en effet, n’est-il pas évident que nous sommes déterminés par le plaisir ou par la peine, & que notre jugement, notre volonté & nos actions ne se décident qu’en faveur des choses qui nous paroissent raisonnables, ou contre celles qui ne nous paroissent pas telles ? Il y a toute apparence que si l’on parvenoit à persuader Episcopius & à ses semblables que la moralité des actions & l’institution des peines & des récompenses dans la société ne peuvent subsister sans l’admission du systême de la nécessité, & que la religion, les mœurs, & les lois ne sauroient avoir aucun fondement solide tant qu’on regardera l’homme comme un agent libre ; (ce que je compte bien démontrer dans la suite avec la dernière évidence) il y a, dis-je, toute apparence qu’ils n’hésiteroient pas un moment à nier la liberté dès qu’ils seraient assurés que l’établissement de ce dogme n’est nullement nécessaire pour le maintien de l’ordre dans la société civile. Au surplus je renvoye mon lecteur aux ouvrages des plus habiles défenseurs du systême de la liberté : il verra combien de fois il leur arrive de se contredire eux-mêmes (comme ils se le reprochent les uns aux autres), de battre la campagne, d’employer des expressions obscures & de parler de la liberté d’une manière inintelligible, il apprendra enfin à ne faire pas plus de cas de leurs traités sur cette matière, que M. Locke[2] n’en faisoit de celui d’Episcopius, dont tous les autres ouvrages annoncent un écrivain profond nerveux & méthodique.

Parmi les auteurs qui soutiennent la liberté, comme parmi ceux qui la nient, il s’en trouve un grand nombre qui interprètent différemment le sentiment intérieur par rapport à cette question de fait, & qui tirent de leur propre expérience des conséquences différentes de celles qu’en tirent ordinairement les partisans déclarés du franc-arbitre.

[3] Un ancien auteur s’exprime ainsi en parlant

  1. Voyez ses œuvres, tom. I, p. 198, 199, 200.
  2. Dans ses lettres, p. 521.
  3. Alexander, dans son traité ci-dessus cité, de Fato.