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sage parti du silence, & renonça au vain espoir de persuader un sophiste très-vain qui disputoit de mauvaise foi, & avec cette aigreur qu’on remarque constamment dans l’argumentation de ceux qui ont la raison contre eux.

Ainsi se termina cette dispute qui dura un an entier & qui eut le sort de toutes les querelles de ce genre, c’est-à-dire de confirmer chacun dans son opinion. Les théologiens, espèce de raisonneurs peu difficiles en preuves, donnèrent gain de cause à leur confrère : Collins eut pour lui les philosophes & la raison ; sa lettre à Dodwell & ses répliques aux trois premières défenses de Clarke forment un traité complet de la nature & de la destination de l’ame, qu’il ne publia néanmoins que comme un essai ; il sentit que le meilleur moyen de préparer utilement l’esprit du lecteur aux vérités qu’on lui enseigne, c’est de ne pas lui paroître trop sûr d’avoir raison. L’extrême confiance d’un écrivain affoiblit nécessairement celle qu’il veut inspirer, dispose au doute, même à la contradiction, tandis que la persuasion a, pour ainsi dire, son siége[1] sur les lévres d’une auteur modeste & circonspect qui incline doucement le jugement de son disciple, (car chacun de nous l’est plus ou moins de celui qu’il lit) ; qui lui cache avec art le fil avec lequel il le conduit, & qui, en lui traçant d’une main sûre la route qu’il doit suivre, a l’air de la chercher avec lui.

Collins commence par quelques réflexions sur le droit sacré & imprescriptible qu’a tout homme de penser, de parler & d’écrire sur toutes les matières & sur les avantages qui résultent pour la société dont il est membre du libre exercice de ce droit.

Rien n’est plus déraisonnable, dit-il, que de s’imaginer qu’il soit dangereux d’accorder aux hommes la liberté d’examiner les fondemens des opinions reçues : rien n’est plus déraisonnable que de soupçonner les bonnes intentions de ceux qui usent de cette liberté. Jusqu’à ce que les hommes ayent un meilleur guide que la raison, il est de leur devoir de suivre cette lumière partout où elle les conduit. Si l’on met des entraves à la liberté de penser, de parler & d’écrire, si l’on défend aux hommes le libre usage de leur raison, comment un japonois pourra-t-il se convertir au christianisme ? comment un espagnol pourra-t-il embrasser le protestantisme ? Nous avons tous la faculté de raisonner ; mais quel progrès pouvons-nous faire dans quelque science que ce soit, sans l’exercice de cette excellente faculté ?

Ce qui prouve encore davantage combien il est injuste de soupçonner la droiture de ceux qui ne veulent pas croire sans examen, c’est que cet examen-là même est une marque de candeur & de sincérité : car on court beaucoup plus de risque de se tromper en admettant aveuglément les opinions reçues, qu’en les faisant passer par l’épreuve du raisonnement. Il est sûr, que c’est une disposition d’esprit plus favorable à la vérité que la disposition contraire. La raison étant la même chez tous les hommes, l’usage de cette faculté commune nous conduira plus sûrement au vrai, qu’une condescendance aveugle pour quelqu’une de ces doctrines contradictoires entre elles qui rendent l’homme ou impie ou orthodoxe, selon qu’il change de climat.

S’adressant ensuite à Dodwell, dont l’ouvrage a été l’occasion du sien, Collins ajoute : puisqu’il y a des gens fourbes & impérieux, toujours prêts à décourager & à persécuter ceux qui cherchent sincèrement la vérité, surtout lorsque ceux-ci donnent quelque prise à la malignité, soit par la nature de leur état supposé en contradiction avec leurs sentimens, soit par leurs vertus mêmes dont on falsifie le principe ; je vous fais publiquement mes remerciemens pour l’excellent discours où vous avez donné un si bel exemple de la liberté de penser, en attaquant généreusement l’immortalité naturelle de l’ame. Votre piété envers Dieu, votre charité envers les pauvres, votre patience au milieu des persécutions occasionnées par votre attachement inébranlable à vos principes qui furent autrefois ceux de l’église anglicane, sont trop bien établis dans le monde par les suffrages de ceux mêmes qui cherchent aujourd’hui à vous mettre aussi mal dans l’esprit des autres que vous étiez bien ci-devant dans le leur, pour ne pas donner quelque crédit à ceux qui suivent courageusement vos traces, ou du moins pour ne pas repousser les traits de la satyre & de l’invective. Vous avez donné au monde un bel exemple de l’accord du zèle religieux avec la liberté de penser. Vous avez plus fait : vous avez montré que votre zèle pour la religion avoit occasionné la liberté que vous avez prise.

Sous vos auspices, & pour ainsi dire à l’ombre de votre autorité, je vais exposer librement ma pensée sur le grand sujet de l’immortalité naturelle de l’âme, m’attachant à mettre dans cette discussion importante & délicate autant de précision que de clarté, & sur-tout à entrer dans l’esprit qui caractérise votre discours sur cette matière. Car, quoique je ne prétende pas prouver par la raison que l’âme soit naturellement mortelle, cependant si je puis faire voir que le plus fort argument allégué en faveur de son immortalité naturelle n’est rien moins que concluant,

  1. C’est ce qu’on a dit de l’éloquent de Périclès ; voyez Plutarque, in vita Pericl.